Verset(s) de la Bible Mt 19,1-12

Si Jésus ne rejette pas la Torah de Moïse, il semble parler avec la même autorité que le législateur d’Israël en affirmant que la moindre offense au frère porte atteinte à Dieu lui-même (Mt 5).
Son enseignement sur le mariage va dans le même sens : un simple regard peut déjà être un adultère (Mt 5,31-32) et la répudiation, si bien légiférée dans le judaïsme, n'est plus tolérable et le célibat est regardé comme "grand" pour le royaume.

Que se passe-t-il ?
Qu'est-ce qui permet à Jésus de dire cela ?
 
Pour saisir l’inouï de l’enseignement de Jésus sur le mariage, il faut le remettre dans le contexte juif de l’époque, mais aussi saisir ce que représente le mariage à travers l’histoire de la foi du peuple et même dans le Moyen Orient ancien. 
  
Voir les commentaires dans le tableau ci-dessous.  



L'enseignement de Jésus sur le mariage et le divorce

(19,3) Des pharisiens y vinrent aussi pour le tenter, et ils lui dirent : Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour quelque sujet que ce soit ?
(19,4)  Et il leur répondit : N'avez-vous pas lu que Celui qui créa, au commencement, fit un homme et une femme ;
(19,5)  Et qu'il dit : A cause de cela l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et les deux seront une seule chair ?
(19,6)  Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Ce que Dieu a joint, que l'homme ne le sépare donc pas.
(19,7)  Ils lui dirent : Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de donner une lettre de divorce à la femme et de la répudier ?
(19,8)  Il leur dit : C'est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais il n'en était pas ainsi au commencement.  
Bible de Jérusalem (Ed. 1975) 

Pour voir le texte biblique complet de Mt 19,1-12

Voir aussi (Les fondements bibliques, pages 347-348)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines MEMOIRE 1  
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés MEMOIRE 2  
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias MEMOIRE 3  
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple MEMOIRE 4  
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté MEMOIRE 5  
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah MEMOIRE 6  
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes ECRITURE 2  
En Samarie    
En Syrie ECRITURE 1  
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
Codes ancestraux au Moyen Orient : Hammourabi (-1800).

Hammourabi (code babylonien XVIII° siècle av. JC)

(19,3)  Des pharisiens s'approchèrent de lui et lui dirent pour le mettre à l'épreuve :
"Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif ?"
Les codes familiaux sont parmi les plus stables.
Ainsi (Dt 5,16-19) :  Honore ton père et ta mère... afin d'avoir longue vie et bonheur sur la terre que YHWH ton Dieu te donne, tu ne tueras pas (un fils de ton peuple au delà du chiffre de la vengeance).
Tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas (tu ne feras pas de rapt d'un homme libre) se retrouvent intégralement et sous la même forme dans (Ex 20,12-15).
Et cette stabilité remonte aux codes les plus reculés, comme le code d'Hammourabi (code du roi babylonien, 18° siècle av JC). Ainsi ( Liverani, "La Bible et l'invention de l'histoire", p.102), dans les textes juridiques du bronze récent (époque de l'installation des tribus) "honore ton père et ta mère afin d'avoir longue vie sur la terre" signifiait ceci : l'héritage des parents ira à l'enfant (naturel ou adopté) qui nourrit son père et sa mère. Le devoir du proche parent de venger une victime de son clan en tuant quelqu'un de l'autre clan faisait que le parent de ce dernier était lui aussi soumis au devoir de vengeance et ainsi de suite. On ne pouvait dépasser le chiffre 7 (de peur d'anéantir les deux tribus). Ensuite le chiffre de la vengeance est passé à un (œil pour œil, vie pour vie).

En ce qui concerne le mariage on pouvait avoir plusieurs femmes si on en avait les moyens, ce qui était le cas quand on était roi. Tout l'Ancien Testament vit la polygamie. David a sept femmes à Hébron (2 S 3,2-5) et on ne les compte plus à Jérusalem (2 S 5,13-16).

Mais on ne peut pas prendre une femme qui appartient à un autre, c'est un adultère. David pèche gravement en prenant Bethsabée (2 S 11). Toute la Bible est polygame, mais on n'accepte pas l'homosexualité (crime de Gibéa (Jg 19) et (Jg 20)) ou encore Sodome et Gomorrhe (Gn 11). L'onanisme (jeter sa semence) est aussi interdit. La vie et la mort ont un caractère sacré et on ne s'en approche pas sans en référer à Dieu et sans un geste de purification. 

Par contre, dans ce cadre de polygamie, le divorce était tout à fait permis. Le motif invoqué pouvait être "une soupe mal cuite" dit le Talmud (ce peut être un euphémisme pour désigner la relation sexuelle). On donnait alors un billet de répudiation qui permettait à la personne rejetée de refaire sa vie. Dans la période du second temple (cf. Safraï, "The Jewish People in the First Century" ch. 14, pp.728 ss), les raisons de divorcer étaient aussi nombreuses pour la femme que pour l'homme, mais, alors que l'homme pouvait donner directement le billet à l'épouse rejetée, la femme devait passer par le tribunal local (ce qui la protégeait des violences du mari). Tel est donc le contexte de la question des pharisiens qui interrogent Jésus. 
La référence à (Gn 2-3).

Mariage à l'époque du Baal

(19,4)  N'avez-vous pas lu que le créateur "au commencement" les fit homme et femme et qu'il a dit : Ainsi donc, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair.  Jésus réunit ici les deux textes de création : celui de (Gn 1) et celui de (Gn 2-3). En (Gn 1), la création en sept jours connaît au sixième jour la création de l'unique Adam tout à la fois homme et femme (en effet Adam seul est nommé et ce n'est qu'au Ch. 2 que la femme sera extraite de lui) et celui de (Gn 2-3) où Adam et Eve sont nommés et connaissent le péché contre le commandement donné par Dieu. 
Comment le texte de (Gn 2-3) pouvait-il être réuni au texte de (Gn 1) ?
(Gn 2-3) avait connu une première expression au temps du Baal. Il fallait ne pas toucher à l'arbre de vie des cultes cananéens qui trônait au milieu du jardin du roi et assurait l'unité de tous les cultes de fécondité. Et c'est pour avoir mangé de cet arbre que l'homme avait connu la domination sexuelle aux dépens de la femme, les souffrances de l'enfantement, le travail et la mort.
La référence à (Gn 2-3) au temps de la Torah de Josias.

A l'époque de Josias et de la Torah dans le Temple

(19,4)  N'avez-vous pas lu que le créateur "au commencement" les fit homme et femme et qu'il a dit : Ainsi donc, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair.

Comment Jésus pouvait-il réunir la référence à (Gn 1) et la référence à (Gn 2-3)?
Le texte de (Gn 2-3) après sa lecture anti-Baal avec l'interdit de l'arbre de vie avait connu une autre lecture. La victoire avait été acquise sur ces cultes et sur Baal par l'adjonction au milieu de jardin de l'arbre de la connaissance du bien et du mal c'est-à- dire par la Torah. Désormais l'homme devait la cultuer et la garder. C'est elle qui devait devenir son emblème sacré son soutien comme un vis-à-vis. Et la femme tirée de la côte de l'homme dans le sommeil sacré avait été donnée à l'homme comme symbole de l'Alliance et image de la Torah. L'homme dont la vocation en Orient n'est pas d'aller habiter chez sa femme, devait quitter la religion de ses pères et adhérer à la Torah. Son union en une seule chair avec son épouse, dans le cadre de la Torah, n'aurait plus rien à voir avec les cultes de fécondité et la honte qui s'en suivait. Mais l'homme, en désobéissant au commandement avait cassé l'alliance avec Dieu qui se trouvait accusé en même temps que la femme qui en était le symbole : "c'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de l'arbre et j'ai mangé." Toute la vie, de l'enfantement à la mort, devenait punition du refus d'obéir au commandement.
Avec la découverte du monothéisme il faut recadrer les fondements.

Au retour d'Exil, (Gn 1) vient coiffer (Gn 2-3)

(19,4)  N'avez-vous pas lu que le créateur "au commencement" les fit homme et femme et qu'il a dit : Ainsi donc, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair.  
Retour d'Exil, (Gn 1) fait de YHWH le créateur de la lumière (Mazda, Dieu des Perses) et jour après jour le créateur de toutes les étapes de la création attribuées autrefois aux autres dieux. Et finalement il crée l'homme comme tselem/étendard de Dieu dans la célébration de cette semaine de création qui se clôture par le shabbat.
La Torah préexistante au monde.

Les deux textes de création à la période grecque

(19,4) N'avez-vous pas lu que le créateur "au commencement" les fit homme et femme et qu'il a dit : Ainsi donc, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair.
A la rencontre du judaïsme et de la philosophie grecque après 330 qui amène à situer la Torah avant la création du monde, le judaïsme officiel et le judaïsme apocalyptique n'auront pas la même façon de relier ce qui est dit de l'homme en (Gn 1) et en (Gn 2-3).

- Dans le courant officiel des prêtres, l'homme et le monde sont faits de bien et de mal tels que Dieu les a créés. La mort y est donc incluse. Mortel, l'homme devra se reproduire pour survivre. Affronté au mal, il devra faire la guerre. Si l'homme est créé "Tselem/étendard" du Dieu unique dans le monde (Gn 1,27) il a aussi le devoir de lui "conquérir" ce monde, et pour cela il doit multiplier ses enfants.
La Bible se trouve désormais introduite par ce nouveau récit de création d'origine sacerdotale. Dès lors, l'Adam de Gn 1 coiffe celui de (Gn 2-3). Ce dernier, d'origine semi-nomade, est mis dans le jardin pour rendre un culte à la Torah et la garder (Gn 2,15) et ensuite, il reçoit la femme comme Alliance de Torah. Il doit quitter la religion de ses Pères pour adhérer à la Torah. Dans cette Alliance, Adam et sa femme font ensemble une seule chair mortelle (Gn 2,24). Dans l'Alliance ils sont heureux (Gn 2,25) mais le mal reprend le dessus chaque fois qu'ils transgressent le commandement sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn 3,7). Il faudra attendre la fin des temps pour que se manifeste la victoire de l'Amour créateur.
 
- Dans le courant apocalyptique, Dieu crée Adam dans un amour tel qu'il est transfiguré en parfaite communion avec Dieu et ne fait qu'un avec sa femme. Un, ils le sont y compris quand ils se reproduisent dans la bénédiction que Dieu leur donne (Gn 1,28). Certains membres de ce courant iront jusqu'à dire que s'ils sont transfigurés en si parfaite communion avec Dieu,  elle les rend immortels. Ils n'ont donc plus de raisons de se reproduire (ce qui donnera son fondement au célibat consacré et aux vierges cf. Qumran). Unis par l'Amour qui les transfigure, ils ne seront séparés que lorsque Dieu, pour donner à Adam une image de lui à vénérer, bâtira à partir de sa côte/vie une femme. Celle-ci lui sera donnée comme soutien vis-à-vis pour garder la Torah. Ce don lui est fait dans la torpeur sacrée (Gn 2,21), là où l'Alliance est donnée à Abraham (Gn 15,12). Pour cette Alliance, l'homme quitte la religion de ses Pères et unit sa chair à celle de son épouse image de la Torah. Mais la désobéissance au commandement brisera cette unité reçue de l'Amour créateur et de l'Amour d'Alliance. Et cette cassure cause l'entrée de la mort dans le monde et toutes les
souffrances du quotidien de l'homme qui sont perçues comme punition de la rupture d'Alliance. Seule une nouvelle initiative de Dieu pourrait remédier à ce drame, par l'envoi d'une nouvelle manifestation de l'Amour créateur donnée par un prophète ou un Messie.  
Jésus authentifie le courant apocalyptique.

Jésus réunit (Gn 1) et (Gn 2-3).

(19,4) N'avez-vous pas lu que le créateur "au commencement" les fit homme et femme et qu'il a dit : Ainsi donc, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair. Eh bien ! que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni.   
Jésus relie ensemble (Gn 1) et (Gn 2-3). Bien qu'il soit assez clair que Jésus donne la préférence au courant apocalyptique par toute sa prédication et que sa manière de relier (Gn 1) et (Gn 2-3) favorise ce dernier courant, les auditeurs pharisiens de Jésus peuvent ne pas vouloir trancher (les pharisiens étaient dans les deux courants). Ils invoquent alors la pratique du billet de répudiation.

Jésus répond : 

(19,8) C'est dit-il, à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes. Mais au commencement il n'en était pas ainsi. 
La dureté du cœur est la résistance que l'homme oppose à Dieu dans l'idolâtrie (Dieu endurcit le cœur de pharaon : (Ex 10,27)). La répudiation évitait que l'on fasse une fixation idolâtrique sur le conjoint (homme ou femme) qui posait problème dans la famille. Le billet rendait la liberté de se remarier au partenaire congédié. Moïse avait donc eu raison de l'instituer. Mais Jésus invoque la communion originelle de l'homme avec Dieu "au commencement/bereshit" pour maintenant l'interdire. Cela ne se comprend que si Jésus invoque la manière apocalyptique de lire (Gn 1), à la manière de (Sg 2,23s). Si dans le mariage, le partenaire est dans une unité transfigurée avec Dieu au point de ne plus faire qu'un avec lui, il n'y a plus de fixation idolâtrique mais reconnaissance de la présence de Dieu en l'autre.

Je vous le dis, quiconque répudie sa femme (...) commet un adultère.
L
a relation matrimoniale ne peut plus être annulée, puisqu'elle a pour contenu la présence de Dieu dans le conjoint. C'est pourquoi le fait de répudier amène automatiquement l'adultère. La première relation ne pouvant être annulée, toute relation nouvelle avec le partenaire repoussé est un adultère. La prise de position de Jésus suppose qu'il authentifie le courant apocalyptique. On pourrait penser que cette référence à (Gn 1) ne concerne que le rêve apocalyptique émis en (Sg 2,23s). Mais Jésus relie la citation de (Gn 1) avec celle de (Gn 2-3) qui voyait l'unité entre l'homme et la femme comme une unité spirituelle autour de la Torah (puisque la femme en était l'image). Jésus va plus loin : cette unité n'est plus seulement autour de la Torah mais autour de lui qui vient rendre à la Torah et à l'homme le lustre qu'ils avaient dans la première création incorruptible "à l'image de Dieu" avant que le Diable ne vint y introduire la mort (Sg 2,23s). En reliant (Gn 1) et (Gn 2-3) Jésus restitue dans la beauté du commencement (Gn 1) la relation de l'homme et de la femme unis en une seule chair dans la Torah (Gn 2,24) mais divisés dans le péché (Gn 3,12)(+1) 
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(+1) Jésus reprend Gn1 et Gn 2 pour affirmer l'unité et l'indissolubilité du mariage. Il ne reprend pas les injonctions natalistes des prêtres ; Par contre il reprend la vision mystique de l'Adam tout un dans la communion avec Dieu, telle qu'elle est perçue dans le courant apocalyptique des Jubilés à Qumran ou chez le Pseudo-Philon. Le mariage étant dans le Royaume le retour à Gn 1,28, où Adam a une communion plénière dans la communion avec Dieu tout en ayant en lui la potentialité des deux sexes, il ouvre la dimension mystique de la fécondité du célibat pour le Royaume.+1)
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Jésus réunit (Gn 1) et (Gn 2-3) dans la catéchèse araméenne de Matthieu et dans les catéchèses orales dont Paul se souvient (1 Co 6,12-20); (1 Co 7,10).

La relecture de Matthieu et de Marc

(19,4) N'avez-vous pas lu que le créateur "au commencement" les fit homme et femme et qu'il a dit : Ainsi donc, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair... Je vous le dis, quiconque répudie sa femme, sauf en cas de "porneia/prostitution sacrée", commet un adultère.  

La seule raison qui légitimerait une annulation serait que le partenaire suspecté entre en relation avec un culte idolâtrique en pratiquant la "porneia/prostitution sacrée".
Dans ce dernier cas le partenaire n'étant plus habité par Dieu mais par l'idole (1 Co 6,16), le mariage n'est pas dans la présence de Dieu qu'apporte Jésus en rendant à Adam/Eve le statut transfiguré qu'ils avait à l'origine dans le courant apocalyptique. Il n'y a donc pas mariage dans le Christ, unité du Christ et de l'Eglise dans l'unité de l'époux et de l'épouse (Ep 5,32). Cette allusion à la "porneia" est mieux en situation dans les Eglises païennes de Syrie ou de Corinthe que dans l'Israël du temps de Jésus qui ne pratiquait plus guère ce genre de culte depuis l'Exil.
Ce peut donc être une adaptation pastorale de Paul ou de Matthieu en milieu païen.
Dans l'Eglise de Corinthe, Paul cite les mémoires d'Evangile. Nous titrons ECRITURE 2 parce que Paul connaît les écrits catéchétiques antérieurs à la fixation dernière de Mt 19 que nous appelons ECRITURE 1 du texte canonique (que l'on pourrait appeler aussi ECRITURE 2 puisque c'est une reprise comme le fait Paul, des catéchèses anciennes)

Dans les Eglises pagano-chrétiennes de Paul

(19,4) N'avez-vous pas lu que le créateur "au commencement" les fit homme et femme et qu'il a dit : Ainsi donc, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair...Je vous le dis, quiconque répudie sa femme, sauf en cas de "porneia/prostitution sacrée", commet un adultère. 

En (1 Co 6,12-20) Paul qui a connu l'Eglise de Syrie pour laquelle Matthieu écrit son Evangile, est affronté au même problème du mariage en contexte de culte de fécondité (voir le commentaire de Paul ad locum).
Le premier rédacteur revient à la prise de position générale de Jésus. Celle-ci servira aussi de point de départ à la théologie pastorale développée par Paul en (1 Co 7,25-40) sur mariage, veuvage et célibat. On voit la réaction des disciples à l'annonce de Jésus qui est apocalyptique et radicale.

Le texte ne connaît pas encore les développements pastoraux et les nuances que Paul apportera (1 Co 6-7). L'enseignement s'adresse à ceux qui, avant le Christ, ont abandonné le désir de fécondité pour le Royaume. (+ 1)

MARIAGE ET CELIBAT

(19,9) Or je vous le dis : quiconque répudie sa femme - pas pour "prostitution" - et en épouse une autre, commet un adultère.
Hormis le cas où l'un des conjoints convoque la sanctification dans les rites païens, le lien entre les deux conjoints est scellé par l'image de Dieu rendu à l'homme par sa communion à Dieu. Communion donnée à l'origine et que Jésus vient rendre. Paul dira en (Ep 5,28-32) que ce mystère évoque celui de l'union du Christ et de l'Eglise. 

(19,10) Les disciples lui disent: "Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il n'est pas expédient de se marier." 
L'offuscation des disciples témoigne de l'immensité du mystère : cela pourrait décourager de s'engager dans le mariage si Jésus n'était pas en même temps Celui dont le pardon ouvre à la transfiguration opérée dans le nouveau statut matrimonial. Ce statut inouï du mariage découle donc du Pardon et c'est encore ce don du pardon qui garantit que c'est vraiment à vivre. 

(19,11) Il leur dit : "Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c'est donné. 
Ce langage est acquis chez les auditeurs de Paul même si l'apôtre doit en ménager la pratique pastorale. Ici, le langage est encore neuf et déconcerte. Seuls les partisans de l'apocalyptique vont pouvoir le comprendre et le vivre. 

(19,12) Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l'action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux.
Qui peut comprendre, qu'il comprenne ! 
Certains juifs du courant apocalyptique choisissaient de vivre le célibat pour Dieu ; consacrant leur virginité à l'attente de son règne (cf. Jean le Baptiste, Marie, Jésus et Paul optera également pour le célibat pour le Royaume. Par contre, pour le judaïsme officiel, le célibat n'a pas de sens ; il est plutôt regardé comme une malédiction. (+ 1)
Les sectaires de Qumran célébraient avec les anges et étaient célibataires. Les Sadducéens ont excommunié les qumraniens qui leur semblaient confondre, dans l'Esprit Saint, le domaine de Dieu et celui des hommes. Ils les traitaient de blasphémateurs (4QMMT). Pour répondre aux sadducéens (en Mc 12,24-27) Jésus reprend leur débat (la résurrection n'est pas dans la Torah). Il leur oppose la "parasha du buisson" qui met la résurrection dans la Torah et il y associe leur mode de vie : le célibat est une manière de vivre comme les anges avec lesquels ils célébraient les puretés c'est-à-dire les repas sacrés. Les hommes de Qumran, célibataires, sont comme les anges. Ils ne se marient pas plus qu'eux-même quand ils s'incarnent dans la communauté comme à Qumran. Paul rappellera (1 Co 11,10) que le culte doit tenir compte de cette prudence et y adapter la tenue des femmes : "à cause des anges" (Cf Gn 6,1s). Qumran avait trouvé la parade : les anges sont célibataires comme eux.
Mais si Jésus peut, au sujet de la résurrection, opposer aux sadducéens les arguments que leur opposaient les qumraniens, il sait aussi prendre ses distances par rapport à eux quand il explique en Mt 19 que l'homme, sauvé par l'incarnation de Jésus, Homme-Dieu, rejoint le statut d'Adam, tout à la fois homme et femme dans la communion  originelle à Dieu. Il les entraîne à nouveau, par le double pardon de son incarnation et de sa croix, dans une nouvelle communion insécable, sur la terre comme au ciel.
Ce qui nous déconcerte c'est qu'on aimerait bien que Jésus parle notre bonne logique monolytique alors qu'il parle le pluralisme, approchant Dieu de manière plurielle, selon la foi de ses interlocuteurs, comme on le faisait de son temps. Quand on parle de Dieu, "élu weélu divrey Elohim Hayyim"/ceci et cela sont paroles du Dieu vivant. C'est la manière pour Jésus de ne pas enfermer Dieu dans notre bon platonisme idolâtrique. On a beau faire, Dieu est Dieu et ne se laisse pas, même incarné, enfermer dans nos logiques païennes. 
en savoir plus
(+1)
On trouve ce désir à Qumran, chez les thérapeutes (cf. Philon d'Alexandrie : De vita contemplativa), mais aussi dans l'apocalypse d'(Elie 2,31).
Cet écrit montre que cette spiritualité, enracinée dès avant Jésus, s'est prolongée en milieu juif non rabbinique jusqu'au 3°s date de la rédaction finale du texte, et ceci, dans des formulations non chrétiennes et non rabbiniques.

On pourra lire à ce sujet la thèse à Strasbourg de Edouard Marie Gallez, "la Messie et son prophète", Editions de Paris p. 233 à 236. Ce mouvement de célibat s'est prolongé en milieu juif non officiel et non rabbinique, depuis le 2°s. avant Jésus jusqu'au 3°s. de notre ère. Il ne connaît pas les arguments de Paul mais reflète bien la phrase de Jésus dans (Mt 19,12).
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Les exégètes s'accordent globalement pour dire que cet enseignement sur le mariage remonte à Jésus lui-même.
Paul s'y réfère (1 Co 6-7); les plus anciennes traditions chrétiennes également (Ep 5). 

En bref : Mariage et divorce selon Jésus

Dans son enseignement sur le mariage et le célibat, Jésus se réfère à (Gn 1-2-3), c'est-à-dire à la création. Par là, il se met au-dessus de Moïse, avec une autorité quasi divine. Il annonce que désormais le mariage est indissoluble et monogame. Ce qui pouvait être éventuellement attendu pour la fin des temps, il le dit arrivé : le couple retrouve son statut adamique des commencements, afin de vivre "à l'image de Dieu" (Gn 1) dans un don et une fidélité totales, comme Dieu à l'égard de son peuple.

Cet enseignement bouleverse et choque ses apôtres !
Il est à entendre dans la proclamation du Royaume qui advient et qui est la réalisation de la folle espérance d'Isaïe. Si Dieu nous aime à ce point, s'il fait toute chose nouvelle, alors celui qui croit est entraîné dans cette folie d'amour...
Folie d'amour qui va jusqu'à la Croix, jusqu'au don de sa vie pour l'autre. 

L'enseignement est si radical que Paul devra, pour les communautés, trouver des solutions vivables en même temps que fidèles à l'enseignement du Seigneur.

Cet enseignement reste inouï, tout comme le pardon inconditionnel et l'amour des ennemis ; nul ne peut se dire à la hauteur d'une telle Alliance. Cette Torah nouvelle de Jésus ne peut être accomplie par les seules forces humaines. Elle suppose que le disciple se reçoive sans cesse de l'Esprit du Père et du Fils, Esprit de miséricorde et d'amour fou. 

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

En savoir plus
Le blasphème de JésusLe blasphème de Jésus
Les fondements bibliquesLes fondements bibliques
Entrer dans la foi avec la BibleEntrer dans la foi avec la Bible
Autre publication du père Jacques Bernard
Ressources théologiques et philosophiquesRessources théologiques et philosophiques