Verset(s) de la Bible 1 Co 6,12-20

Ce texte de Paul est devenu difficilement audible à certains d'entre nous.
 
Que vise-t-il ?
Que veut-il dire exactement ?
A qui s'adresse-t-il ?
Est-ce là une leçon de morale, un jugement sur des catégories de personnes ?
En vertu de quoi Paul parle-t-il ainsi ? 
Quelle réalité y a-t-il sous les mots qu'il utilise ? 

Après le tableau ci-dessous, voir les commentaires.

Corps de communion et cultes idolâtriques

(6,12)  "Tout m'est permis" ; mais tout n'est pas profitable. "Tout m'est permis" ; mais je ne me laisserai, moi, dominer par rien.
(6,13)  Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments, et Dieu détruira ceux-ci comme celui-là. Mais le corps n'est pas pour la fornication ; il est pour le Seigneur, et le Seigneur pour le corps.
(6,14)  Et Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera, nous aussi, par sa puissance.
(6,15)  Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? Et j'irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ! Jamais de la vie !
(6,16)  Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s'unit à la prostituée n'est avec elle qu'un seul corps ? Car il est dit : Les deux ne seront qu'une seule chair...

Bible de Jérusalem (Ed. 1975) 

Pour voir le texte biblique complet de  1 Co 6,12-20

Voir aussi (Les fondements bibliques, pages 453 et 467)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre MÉMOIRE 1  
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse ECRITURE 1  
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 1)


Paul, situé entre Jésus qu'il n'a pas connu et la rédaction des Evangiles, doit trouver une chemin pratique au christianisme dans la catéchèse orale de l'Eglise en pleine recherche. Il est affronté à un problème majeur qui aura des répercussions dans de nombreux domaines. Peut-on annoncer le Christianisme aux païens qui n'ont pas été préparés par la Torah à une mise en œuvre pratique de cette foi nouvelle ?

Le corps et la chair

(6,12)  Tout m'est permis mais tout n'est pas profitable. 
Paul cite un principe stoïcien : 
Tout m'est permis mais je ne me laisserai dominer par rien. La sagesse stoïcienne savait bien que certaines libertés que l'on se donne aboutissent à des addictions ou à des esclavages. Il fallait donc recourir à des "interdits" pour éviter l'esclavage. Mais tous les interdits ne sont pas de ce type fondamentalement humain et peuvent être de type religieux.
Le judaïsme avait reçu dans sa Torah toute une série de "commandements" pour sauvegarder sa liberté vis-à-vis des pratiques païennes qui ne correspondaient pas à sa foi. Parmi eux il y avait des "interdits" alimentaires qui sont avec la circoncision un des principaux marqueurs identitaires du judaïsme jusqu'à nos jours (+1).
Il y avait aussi des interdits matrimoniaux. La polygamie était encore (bien que plus rare en milieu grec) conforme à la tradition vétéro-testamentaire qui la permettait.
L'inceste était interdit ainsi que l'adultère, alors que le divorce était permis ou même recommandé dans certains cas comme celui de stérilité vérifiée après un certain nombre d'années.
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(+1)
On pourra lire à ce sujet : Boyarin "Le Christ Juif".
En (Mc 7,1-23) Jésus est amené à se situer entre la « cacherout » (aliments permis ou défendus par la Bible) et la « netilat yadayim » (élaboration pharisienne sur le pur et l’impur véhiculé par contact à la différence des sécrétions de liquides corporels qui sortent de l’homme : règles ou semences).
Dans cet Evangile, Jésus ne dit rien contre la « cacherout » biblique mais annule, en ne la pratiquant pas et en la spiritualisant, la « netilat yadayim » qui est une élaboration de la tradition pharisienne. Jésus marque donc une réserve vis-à-vis des interprétations de la Torah faite par les pharisiens et non vis-à-vis des interdits alimentaires juifs de la cacherout. Cette interprétation corrige les contre-sens dus à l’ignorance chrétienne des rites juifs. Mais elle ne fait pas le passage de « seuil » qui correspond à l’épisode du centurion Corneille (Ac 10,15) où  la « cacherout » est remise en question.
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Paul écrit aux Corinthiens vers 56. Ils sont convertis depuis 51.
Dans ce contexte de Corinthe, ils sont en proie à différentes sollicitations de la culture (concubinages, homosexualité, pédophilie...) et des cultes païens (prostitution sacrée). 

Un article de base pour cette exégèse : JAT Robinson, The Body

Le corps de communion et les cultes de prostitution

(6,13)  Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments. Et Dieu détruira celui-ci et ceux-ci.
Si Jésus, dans l'Evangile de Mc 7,15 vise essentiellement les développements de la tradition pharisienne en matière de liquides pouvant contaminer et rendre impure la personne, il ne s'agit plus de cela ici. Dans la ligne de la mission de Pierre avec le centurion Corneille (Ac 10,16), il y a un élargissement vis-à-vis de la cacherout. Elle sera respectée en milieu juif mais ne sera pas imposée en milieu païen (pas plus que la circoncision, autre marqueur essentiel en milieu juif) Paul s'efforce dans l'épitre aux Corinthiens de trouver d'autres marqueurs pour les païens ou d'adapter ceux de la Torah. On trouve déjà cet argument dans la bouche de Jésus en Mc 7,  bien que dans ce texte il s'agisse de la "netilat yadayin" et que l'extension qui est faite à la cacherout (Mc 7,18-19), témoigne d'un élargissement que l'on retrouve dans Ac 10 et dans notre texte. 

La suite du texte est dite en langage grec.(+1)

Mais le sôma ("corps de communion" qui n'est pas du même ordre que le ventre et les aliments mais désigne tout le complexe humain en recherche d'au-delà) n'est pas pour la prostitution (prostitution sacrée : communion à l'idole qui s'oppose à la communion dans le Christ) mais pour le Seigneur (le Ressuscité) et le Seigneur pour le sôma. C'est dans le Seigneur et non dans les cultes païens que notre corps de communion trouve le but de sa quête d'au-delà.(+2) Il y a donc une rivalité de fait entre les différents cultes, censés tous donner un surcroît de vie aux "corps" (personnels, familiaux et sociaux) qui y aspirent.
Et la différenciation entre ces cultes ne peut plus reposer sur les interdits alimentaires comme marqueurs d'identité.

(6,14) Dieu, par contre, de même qu'il a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera par sa puissance. 
Le nouveau marqueur d'identité c'est la vie divine que Dieu donne dans la Résurrection. Le terme de la quête d'au-delà du "corps de communion" est la résurrection.

(6,15)  Ne savez-vous pas que vos sômata (pluriel de sôma/"corps de communion") sont membres du Christpuisqu'ils trouvent leur communion à l'au-delà dans le Ressuscité. Et prenant les membres du Christ, j'en ferais des membres d'une prostituée ? A Dieu ne plaise !
Paul condamne ainsi les cultes de prostitution sacrée.  Mais, comme toujours dans la Bible la "prostitution" désigne aussi tout ce qui pactise avec les vices proprement liés aux idoles.
Il condamne la prostitution sacrée, comme il a condamné en (1 Co 6,9) les prostitué(e)s (sacré(e)s), les idolâtres (que l'on peut leur assimiler à Corinthe), les adultères (passibles de lapidation en Israël), les efféminés, les pédérastes cf. (1 Tm 1,8-10)... jusqu'aux voleurs, cupides, ivrognes, insulteurs, ravisseurs d'otages. Il y a là toute une gamme allant du péché envers Dieu jusqu'au péché envers le prochain. Paul retrouve alors tous les interdits qui découlaient des commandements qui avaient fait la pratique de l'Alliance. Les païens ne les connaissent pas et risquent d'en détourner les chrétiens. Il conclue : "Ni les uns ni les autres n'hériteront du Royaume", s'il est vrai que le Ressuscité est venu rendre à l'homme sa beauté originelle.

(6,16)  Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s'unit à la prostituée fait avec elle un "sôma" ? Sur tous les plans personnel, familial et social (1 Co 8,9-13) ; (1 Co 10,14-21). Car ils seront, dit-on en (Gn 2,24), à deux une seule "chair". 
Il y a entre l'idolâtre et l'idole ou la prostituée une certaine communion sacrée mais c'est pour devenir une seule "chair" de péché et de mort. La "chair" est alors opposée à l'Esprit et ne fait que souligner l'impasse de l'homme, la "chair" en tant qu'elle est mortelle et pécheresse.
On sera étonné de voir que Paul ne tient pas compte en milieu païen de l'adéquation établie par Jésus en (Mt 19,4s) entre l'homme de communion "à l'image" (Gn 1,27) et l'homme et la femme réunis "en une seule chair" dans l'alliance (Gn 2,24). C'est que l'alliance "dans la chair" pour entrer dans cette communion originelle avec Dieu doit d'abord renoncer aux idoles et cela n'est pas fait à Corinthe chez ceux qui pratiquent encore la prostitution des cultes idolâtriques.

(6,17)  Celui par contre qui s'unit au Seigneur est un seul Esprit.
Le "corps de communion" devient alors corps spirituel de résurrection. 
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(+1) 
Dans The Body de Robinson, une analyse est faite de tous les termes utilisés par Paul pour rendre compte de ce "Sôma" qu'il définit comme une innovation linguistique de Paul dans le vocabulaire grec. Pour rendre compte de tous les sens nouveaux que prend ce terme dans la bouche de Paul, on pourrait dire que le "sôma" est un réseau de relation (aux différents plans : personnel, familial et social), en recherche de sanctification.
Le "corps" personnel tentera d'articuler "la chair de péché et sa relation à l'idole" ; "la Torah de vie et de mort" ; la "foi" comme ouverture à un renouveau de la prophétie ; "l'esprit" comme rencontre personnelle avec Dieu ou le Christ ; la "pratique" des commandements.
Le "corps" familial tentera d'articuler la relation de l'époux à l'épouse et de l'épouse à l'époux et les variantes s'ils sont ou non baptisés, la relation aux enfants.
Le "corps social" dans un réseau de sanctification idolâtrique païen ; dans le peuple juif ; dans le peuple chrétien ; dans la relation de maître à esclave ; dans une relation xénophobe ou ouverte à l'universel.

(+2) 
Paul exprime clairement dans le culte des idolothytes le rapport de sanctification idolâtrique qui s'y joue (1 Co 10,14-22). Comme dans notre texte, il dit : "Fuyez l'idolâtrie". Il compare les sacrifices païens aux sacrifices juifs qui sont réellement des sacrifices de communion ; en comparaison, les sacrifices païens sont des sacrifices offerts aux démons et non pas à Dieu (1 Co 10,20).
Il ajoute : "Je ne veux pas que vous entriez en communion avec les démons". Ce serait faire un "corps" démoniaque. 
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(6,18)  Fuyez la prostitution (sacrée). Tout péché que l'homme peut commettre est extérieur à son "sôma". Il ne remet pas en question l'orientation spirituelle du corps de communion. Celui qui pratique la prostitution (sacrée) pèche contre son propre sôma. Il donne à son corps de communion une orientation idolâtrique

(6,19)  Ou bien ne savez-vous pas que votre "sôma" est un temple du Saint Esprit qui est en vous et qui vous vient de Dieu et que vous ne vous appartenez pas ? Votre corps de communion trouve sa véritable orientation dans l'Esprit Saint dès lors que vous êtes, par le baptême, incorporés à la passion de Jésus. C'est pourquoi Paul poursuit :
(6,20)  Vous avez été achetés (terme habituellement utilisé pour le marché aux esclaves) à grand prix. Notre délivrance de l'esclavage du péché originel a coûté la mort de Jésus.(+1) 
Glorifiez donc Dieu dans votre sôma. La Gloire désigne tout le poids de la présence de Dieu. On pourrait donc traduire : célébrez la présence de Dieu dans votre "sôma" de communion.
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(+1) 
On remarque ici que Paul, n'ayant pas connu Jésus de son vivant, ne parle pas de la restauration de l'homme avant la croix, dans l'annonce du Royaume, telle qu'elle apparaît dans le "sermon sur la montagne". Pourtant le "Sôma" y était déjà ressuscité en présence de Dieu et pardon. Mais Paul ne veut connaître que le "Sôma" du baptisé réconcilié de son péché par la croix. La présence du Christ dans le baptisé est telle que chacun peut célébrer la Gloire de Dieu dans son "Sôma" son "corps de communion", qu'il soit personnel, familial ou social. 
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Cette lettre de Paul renvoie aux tout débuts de l'Eglise où les communautés chrétiennes naissent dans les cités de l'empire romain. Corinthe, grande ville portuaire, connaît toutes sortes de cultes païens allant souvent de paire avec les pratiques sexuelles.

Dans ce contexte, les nouveaux convertis doivent apprendre à vivre selon le Christ. 

En bref, corps de communion et cultes de prostitution

A la lumière de l'ensemble de la théologie de Paul, le terme "chair" désigne l'humain dans ce qu'il a de limité et le terme "corps" renvoie à l'homme en tant qu'être de relation, aspirant à un au-delà. 
Paul invite les nouveaux convertis de Corinthe à vivre de la vie du Christ. Cette vie nouvelle se caractérise par une vie en union à Jésus Christ. Et cette vie n'est pas désincarnée, au contraire, elle s'incarne dans un nouveau type de relation entre les membres de la communauté qui devient Corps du Christ. Le mariage comme le célibat deviennent des lieux de manifestation de cette communion au Christ. Impossible donc de retourner aux cultes païens et aux pratiques qui y sont liées. 
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Aristophane (Ve-IVe av. J.-C.) parle de « corinthianiser » (Fragment. 354) pour indiquer un comportement sexuel « à la corinthienne » c’est-à-dire caractérisé par une vie de débauche (la ville est célèbre pour le nombre de ses prostituées).
Du point de vue religieux, la population très mélangée apporte avec elle pluralisme et syncrétisme. Hormis les nombreux mouvements religieux non « déclarés » (et dont la secte chrétienne faisait partie) on distingue, à l’époque qui nous intéresse, au moins quatre types de mouvements religieux connus : le culte officiel de l’Empereur, les cultes des divinités grecques, les cultes à mystère venus de l’Orient (Mithra, cultes égyptien d’Isis et Sérapis) et celui de la Diaspora juive. Certains cultes comportaient un repas en commun et des sacrifices dont la signification reste mystérieuse.  
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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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Le blasphème de JésusLe blasphème de Jésus
Les fondements bibliquesLes fondements bibliques
Entrer dans la foi avec la BibleEntrer dans la foi avec la Bible
Autre publication du père Jacques Bernard
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