Verset(s) de la Bible Jn 5

Ce récit de la guérison du paralytique à Béthesda en Jn 5 trouve son parallèle chez les synoptiques (Mt 9,1-8), (Mc 2,1-12) et (Lc 5,17-26). 

En faisant ce récit, l'évangéliste a le souci d'une véritable catéchèse, mais aussi d'enraciner l'action de Jésus dans son contexte juif ; ce n'est donc pas seulement l'extraordinaire de la guérison qu'il raconte, mais ce que le "miracle" révèle de Jésus. 

Voir le commentaire qui suit le tableau boussole. 

Le paralytique guéri et pardonné

(5,1)  Après cela, il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem.
(5,2)  Or il existe à Jérusalem, près de la Probatique, une piscine qui s'appelle en hébreu Béthesda et qui a cinq portiques.
(5,3)  Sous ces portiques gisaient une multitude d'infirmes, aveugles, boiteux, impotents, qui attendaient le bouillonnement de l'eau.
(5,4)  Car l'ange du Seigneur descendait par moments dans la piscine et agitait l'eau : le premier alors à y entrer, après que l'eau avait été agitée, se trouvait guéri, quel que fût son mal.
(5,5)  Il y avait là un homme qui était infirme depuis trente-huit ans.
(5,6)  Jésus, le voyant étendu et apprenant qu'il était dans cet état depuis longtemps déjà, lui dit : "Veux-tu guérir ?"... 
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Pour voir le texte biblique complet de Jn 5
Voir aussi (Les fondements bibliques, pages 371-372, 388, 437)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
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Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique MÉMOIRE 1  
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    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
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Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
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    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem RELECTURE 1  
Missions Judéo-chrétiennes    
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A Rome    
A Ephèse    
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Les Pères d'Occident    
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Des Victorins aux Scholastiques    
 

Le Miracle de Jésus en shabbat à Bethesda

(5,1)  Après cela, il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem. 
Quand la fête n'est pas nommée, il s'agit de la fête de Sukkot. De fait, l'Evangile de Jean est construit sur trois Pâques. Les deux dernières mentionnent la fête de Sukkot qui précède : au Ch. 5, Sukkot précède la fête de Pâque de (Jn 6) ; aux Ch. 6 et 7, Sukkot (Jn 7) - (Jn 8) précède l'ultime Pâque. Sukkot est une fête des "montées" et Jésus monte à Jérusalem comme en (Jn 7) et (Jn 8). 

(5,2)  Or il existe à Jérusalem, près de la Probatique, une piscine qui s'appelle en hébreu Bethesda et qui a cinq portiques.  Les archéologues l'ont retrouvée tout près de la porte orientale du Temple. Elle peut se visiter. Au temps de Jésus, elle était le lieu d'un culte guérisseur. 

(5,3)  Sous ces portiques gisaient une multitude d'infirmes, aveugles, boiteux, impotents, qui attendaient le bouillonnement de l'eau.
(5,4)  Car l'ange du Seigneur descendait par moments dans la piscine et agitait l'eau: le premier alors à y entrer, après que l'eau avait été agitée, se trouvait guéri, quel que fût son mal.  Ces cultes de guérisseurs, à quelques mètres du Temple (à l'entrée de la porte Nord), se posaient en rival du culte à YHWH dans le Temple.

(5,5)  Il y avait là un homme qui était infirme depuis 38 ans. 38 ans est le temps qui séparait le Sinaï du renouvellement de l'Alliance à la Tente de la Rencontre avant l'entrée dans la terre promise. Derrière l'infirme tenté par la magie païenne mais sans parvenir à y accéder, il y a l'image d'Israël que Jésus vient visiter (note du rédacteur I)

(5,6)  Jésus, (monte au Temple, comme tout juif, pour la fête), le voyant étendu et apprenant qu'il était dans cet état depuis longtemps déjà, lui dit : "Veux-tu guérir ?"

(5,7)  L'infirme lui répondit : "Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine, quand l'eau vient à être agitée ; et, le temps que j'y aille, un autre descend avant moi." On apprend par là que le malade est un paralysé qui a besoin qu'on le jette à l'eau pour être guéri. Son désir va vers les cultes païens.

(5,8)  Jésus lui dit : "Lève-toi, prends ton grabat et marche."  Jésus ne fait pas un geste mais prononce une Parole qui ordonne au malade, une fois relevé, de porter son grabat et de marcher. 

(5,9)  Et aussitôt l'homme fut guéri ; il prit son grabat et il marchait. 
(MÉMOIRE 1)
Pour comprendre ce chapitre de Jean, il faut se remémorer la tradition sur Elie dans le courant apocalyptique : Elie est attendu pour éclairer les questions latentes de "halakhah". C'est le cas pour l'autel qui a été profané.
Le judaïsme officiel, lui, n'attend le retour d'Elie. Ainsi pour Ribaz (judaïsme officiel), Elie viendra ramener les exilés dans le pays d'Israël.

Elie/Elisée au temps de Jésus :
Elisée, au temps de Jésus, est confondu avec Elie ; il a aussi la réputation de pouvoir ressusciter : il a ressuscité l'enfant (2 R 4,33-37), un cadavre jeté par frayeur dans la tombe du prophète, ressuscite dès qu'il a "touché" ses ossements.

Les mémoires indispensables pour comprendre Jn 5

(Ml 3,22) Voici que je vais vous envoyer Elie le prophète avant que n'arrive mon jour, grand et redoutable.
(Ml 3,24) Il ramènera le cœur des Pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d'anathème.
Une conversion par Elie  précédera la fin des temps.
Le premier livre des Maccabées mentionnent l'attente d'Elie :
(1 M 4,46).
Ils le démolirent et en déposèrent les pierres sur la montagne du temple en un endroit convenable en attendant la venue d'un prophète qui se prononcerait à leur sujet.

Les cléfs que Dieu a données à Elie :
Par ailleurs, une ancienne tradition de la fête des Tentes raconte que trois clefs sont dans la main de Dieu et qu'Il n'a jamais données à aucun ange, même en shabbat, où Dieu confie le monde aux anges pour pouvoir observer le commandement du repos. Il s'agit de la clef de la vie (les enfants continuent de naître en shabbat et viennent de Dieu), la clé du jugement (ceux qui meurent en shabbat sont jugés par Dieu et non par les anges) et la clé de la Résurrection (ceux qui meurent en shabbat sont ressuscités par Dieu).
Mais à Elie, Dieu a concédé la clef des pluies pour exercer le jugement sur Achab (1 R 17,1) et (1 R 18,41-46) ; il lui a aussi concédé la clef de la résurrection, par laquelle le fils de la veuve de Sarepta est revenu à la vie (1 R 17,17). Elie a donc eu successivement deux clefs que Dieu n'a jamais données à aucun de ses anges (TB Ta'anit 1a).

Jésus guérit le paralytique, et cette guérison est suivie d'un dialogue éloquent pour un juif.

Le Miracle de Jésus en shabbat à Bethesda

Or c'était le sabbat, ce jour-là. 
(5,10) Les Juifs dirent donc à celui qui venait d'être guéri : "C'est le sabbat. Il ne t'est pas permis de porter ton grabat."
Porter et marcher, déplacer un objet en marchant hors de sa maison, est interdit en shabbat. 
(5,11)  Il leur répondit : "Celui qui m'a guéri m'a dit : Prends ton grabat et marche."
Le miraculé a obéi à une voix qui lui a semblé dépasser le pouvoir du culte guérisseur dans lequel il mettait son espoir. Et il a été guéri. Certes il fait quelque chose qui est interdit en shabbat. Mais celui qui l'a guéri n'a-t-il pas une autorité sur le shabbat comme il en a montré une sur les cultes guérisseurs ?
Ce que dit le miraculé oriente l'attention sur l'autorité de Jésus, car en donnant au paralysé l'ordre de porter son grabat, Jésus semble se mettre au-dessus de la Torah du shabbat et cela peut lui être reproché tout autant que d'enfreindre lui-même le commandement du shabbat.
(5,12)  Ils lui demandèrent : "Quel est l'homme qui t'a dit : Prends ton grabat et marche ?"
(5,13)  Mais celui qui avait été guéri ne savait pas qui c'était ; Jésus en effet avait disparu, car il y avait foule en ce lieu.
La foule des shabbats à l'entrée du temple. Le miraculé n'a pas encore compris sa guérison. Il doit être croyant car il va au temple dont la porte est à quelques dizaines de mètres. Tout juste peut-on dire qu'il passe du lieu de culte païen au Temple de YHWH. Quel lien fait-il entre sa foi et sa guérison ?
(5,14)  Après cela, Jésus le rencontre dans le Temple. Ses questionneurs l'ont laissé aller sans son grabat, devenu inutile et Jésus le retrouve dans le temple et lui dit : "Te voilà guéri ; ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive pire encore." 
Le miraculé est invité à faire le chemin qu'il n'a pas encore fait dans sa foi. Il doit être croyant. Mais un croyant qui a succombé par sa maladie à la tentation de la magie. Il retrouve Jésus qui, en lui disant de ne plus pécher, fait le lien entre son péché et sa guérison, comme dans le cas du paralytique pardonné et guéri (Mc 2,1-12). Cela peut éveiller chez lui plusieurs rapprochements qui vont aboutir au fait qu'il reconnaît Jésus.
Soit il a, comme beaucoup de ceux qui sont dans le temple, entendu parler de Jésus comme d'un guérisseur qui met sa guérison en lien avec le pardon et l'avènement du Royaume. Il peut alors faire le rapprochement avec ce qui lui est arrivé, reconnaître Jésus et aller dire : C'est Jésus qui m'a guéri.
Ou bien il fait partie des groupes apocalyptiques qui à la différence du judaïsme officiel, attendent encore des miracles et le fait qu'il ait été demandé aux cultes guérisseurs un miracle, va dans ce sens. Mais déçu d'attendre en vain le retour d'Elie ou d'un prophète, il est allé au culte païen de guérison. Entendant le lien que Jésus fait entre le péché et la guérison, il se souvient de ce que certains de ses amis lui ont rapporté d'un Jésus reconnu par la foule comme le Elie attendu, ou même du paralytique pardonné et guéri de (Mc 2). Dans ce cas, il peut retrouver ses espérances  et voir en Jésus le retour d'Elie, le prophète qui a les clefs de la pluie (jugement) et de la Résurrection (la vie et la guérison). Le miraculé a ainsi reconnu son bienfaiteur.
On doit avoir une reconnaissance similaire dans le récit du paralytique pardonné et guéri en (Mc 2,1-12) Là, la foi en Jésus, sans doute déjà reconnu comme Elie guérisseur, précède la guérison et la reconnaissance de Jésus comme "fils de l'homme" venu du ciel (Cf. (Dn 7,13) ou Hénoch "similitudes") n'arrive qu'ensuite. Les deux récits reflètent de manière assez similaire, un événement de la christologie prépascale.
(5,15)  L'homme s'en fut révéler aux Juifs que c'était Jésus qui l'avait guéri.
Reconnaître Jésus comme Elie guérisseur ne peut être attribué à la christologie haute postpascale car après Pâques le titre d'Elie est réservé à Jean Baptiste, le précurseur, et n'est plus employé pour le Jésus historique. On est donc dans les premiers signes du ministère de Jésus. Chez Jn 5, on est à la seconde fête de Sukkot, après que Jésus ait chassé les vendeurs du temple (Jn 2,13-22) (La troisième aura lieu aux chapitres (Jn 7) et (Jn 8)). Chez Marc, où le ministère de Jésus ne dure qu'un an, on est au tout début de l'Evangile. Jésus commence à se poser comme substitut du temple par le pardon du Père qu'il apporte en lieu et place du temple. 
(5,16)  C'est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus : parce qu'il faisait ces choses-là le jour du sabbat.
Ce n'est pas le miraculé porteur du grabat qui est persécuté : on le laisse filer au Temple ! C'est Jésus qui est inquiété. Or, il n'a rien fait que parler ! Il ne contrevient à aucun interdit explicite sur le shabbat. J.P. Meier en mentionne tous les recoins halakhiques (p. 235 - 158). Il a raison de ce point de vue, mais ce seul point de vue halakhique, sans le contexte de foi qui, ici, le sous-tend, est incomplet (le présupposé méthodologique de l'auteur se retourne contre sa démonstration).
Jésus parle et cela donne à son miracle un caractère magique et rival envers l'action de Dieu ; c'est d'autant plus insoutenable que ce jour-là, on célèbre le repos de Dieu dans sa  création. Admettre un concurrent magique est insoutenable, même si le contrevenant ne fait rien de généralement interdit en shabbat. 
De fait, le principal soupçon soulevé par la réalisation d'un miracle à l'époque, était le soupçon de magie (cf. E. Urbach, Sages, Magic and miracle) et Jésus n'agissant que par la parole donnait d'autant plus prise à la critique que ses miracles prenaient de ce fait un caractère magique. C'est d'ailleurs ce motif que le judaïsme retiendra dans l'enquête qu'il a mené pour faire condamner Jésus (TB Sanhédrin 43a).

Il est encore une autre hypothèse tout aussi vraisemblable et qui se confirmera dans la suite du récit. Si Jésus ne fait aucune action qui soit interdite le jour du shabbat, il semble dire qu'il détient les trois clefs que Dieu garde en main le jour du shabbat quand il cède le fonctionnement du monde à ses anges pour pouvoir se reposer.
Ces clefs (celle de la vie, du jugement et de la résurrection) que Dieu n'a jamais donnée à quiconque si ce n'est deux d'entre elles, séparément, à Elie (TB Ta'anit 1a). Le débat qui suit tourne autour du fait que Jésus s'attribue les trois clefs, et, comme le fait son Père, il les garde le jour du shabbat. Il le dit clairement dans le verset qui suit :
(5,17)  Mais il leur répondit : "Mon Père est à l’œuvre jusqu'à présent et j’œuvre moi aussi."  
La réponse de Jésus ne va pas dans le sens d'une accusation de magie, mais répond  au problème des clefs. La question du repos de Dieu en shabbat soulevait la question de la permanence de l'action créatrice de Dieu sur le monde.
La LXX avait résolu le problème dans la ligne de l'ambiguïté du verbe "lishbot" qui signifie à la fois "parachever" et "se reposer" ; Dieu pouvait donc se reposer tout en parachevant le monde. Ici, Jésus s'octroie le même privilège jusqu'en Shabbat.
Les juifs de Palestine avaient exprimé également le problème du repos de Dieu en shabbat par le truchement des tâches confiées par Dieu à ses anges durant son repos, à l'exception des trois clefs qu'il ne cédait à aucun ange, à part Elie qui en avait reçues deux séparément de son vivant.
Jésus se présente comme un nouvel Elie, mais il ne dit pas avoir seulement une clef, comme Elie sur terre, il dit détenir les trois clefs que son Père garde dans le ciel le jour du shabbat. Le verset suivant dit l'émoi des auditeurs qui ont bien compris la prétention de Jésus :
(5,18) Aussi les Juifs n'en cherchaient que davantage à le tuer, puisque, non content de violer le sabbat. S'il use, en shabbat, des mêmes clefs que son Père sur la vie et le jugement, c'est qu' il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant égal à Dieu.
 
L'action rivale et insoutenable est ici bien mise en évidence. Si Jésus ne fait rien qui soit interdit le jour du shabbat, c'est qu'il s'attribue trois clefs que Dieu se réserve ce jour-là. Il se fait donc l'égal de Dieu. Or, cette prétention qui fait de lui un Elie plus grand qu'Elie peut tout à fait être prépascale, puisque après Pâque, le titre d'Elie reviendra à Jean Baptiste (Mt 11) et ne sera plus appliquée à Jésus.

Jésus détenteur des trois clefs de Dieu en shabbat

(5,19)  Jésus reprit donc la parole et leur dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu'il ne le voie faire au Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement.
Dans le contexte de l'affrontement au Temple, on peut se demander de qui parle Jésus quand il dit "le Fils". Dans la ligne des trois clefs que Dieu garde en main le jour du shabbat et qu'il n'a données que séparément à son prophète Elie, "le Fils" devrait désigner celui que Qumran attendait comme autre Messie, à savoir le Messie d'Israël. D'ailleurs, dans le judaïsme et pas seulement à Qumran, le "fils de Dieu" désignait essentiellement le roi, même si le titre pouvait convenir à tout juif. Le Psaume 2 est clair à ce sujet ; il sera d'ailleurs appliqué à Jésus : "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré" (Ps 2,6). Dans ce psaume de couronnement, la session à la droite était celle du roi et le jour de l'engendrement était le jour de la montée sur le trône.
Les trois clefs qu'Elie n'a jamais eues ensemble sur terre, seraient-elles remises ensemble, sur terre, dans la main de Jésus ? Qui dès lors serait "Fils de Dieu" ou "Roi", venu du ciel sur la terre ?

(5,20) Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu'il fait ; et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci, à vous en stupéfier.
Le Fils venu d'auprès du Père, comme le "fils de l'homme" intronisé de (Dn 7,13), a vu tout ce que fait le Père et il lui montrera plus grand encore. De quoi peut-il s'agir, sinon de ce qu'il va faire sur la terre ? Puisque le résultat sera la stupéfaction des auditeurs de Jésus !
Suivent alors les clefs de la résurrection et du jugement qui ne sont plus celles données à Elie comme prophète, mais celles données au "Fils de Dieu" royal.

(5,21)  Comme le Père en effet ressuscite les morts et leur redonne vie, ainsi le Fils donne vie à qui il veut.
La clef de la vie est bien dans la main du Fils.
(5,22)  Car le Père ne juge personne ; il a donné au Fils le jugement tout entier.
Plus étonnamment encore, le jugement est donné tout entier au "Fils de Dieu", au Messie royal. Ces deux clefs, celle de la Résurrection ou de la vie et celle du jugement sont maintenant dans sa main. Le jugement "tout entier" : peu importe qu'il exerce la clef du jugement jusqu'en Shabbat, puisque ces trois clefs sont justement celles que Dieu, en shabbat, ne remet à aucun de ses anges. "Tout entier" peut aussi s'entendre à la dimension de l'histoire. Le judaïsme attendait la victoire de Dieu dans le jugement à la fin des temps. Ce jugement est maintenant "tout entier" dans la main du Fils, ce qui veut dire qu'avec sa venue, le jugement de la fin des temps est inauguré.
(5,23)  afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père qui l'a envoyé.
Si l'on doit honorer le "Fils" comme on honore le Père c'est bien parce qu'il est au ciel intronisé avec le Père (Dn 7,13). Mais ceci peut-il encore se dire du "fils" nouveau David sur la terre ? C'est ici qu'est introduit un nouveau terme important : le "Fils" est maintenant déclaré "envoyé". Ce terme vient de l'hébreu "shaliah" qui se définit "domeh lisheluho", c'est-à-dire : identique à celui qui l'envoie. Ce terme sera traduit en grec par le verbe "Pempo" ou par "apostello" qui donnera "apôtre". On a ici en grec le verbe "Pempo". Ce qui veut dire que l'identité du Fils avec le Père dans le ciel se maintient dans son envoi sur la terre.
(5,24)  En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.
Si tout le jugement a été remis, jusqu'à la fin des temps, au "Fils roi" "envoyé" à l'identique du Père, celui qui croit à "l'envoyé" est déjà passé de la mort à la vie (clef de la résurrection) et n'a plus rien à craindre du jugement attendu comme instrument de la victoire de Dieu à la fin des temps, par le judaïsme officiel (clef du jugement).
(5,25)  En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient - et c'est maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront.
À la fois tout est inauguré dans le "fils-roi" "envoyé" et "c'est maintenant". À la fois, ce jugement retentira pour tous ceux qui sont morts, lorsque "l'heure" sera venue. L'heure désigne toujours chez Jean l'heure de la "mort/résurrection" de Jésus. C'est en effet du haut de la Croix que "tout est accompli" de l'Amour de Dieu et que le Père est glorifié en son Fils. Cet accomplissement dans le "Fils-Roi" sur le trône de la Croix est le prolongement de ce qui est déjà inauguré depuis la venue du Verbe fait chair qui donne la vie à ceux qui écoutent sa voix.

Selon le sens donné aux différents termes, on pourra y voir :
- une relecture postpascale si on prend les termes dans leur acception chrétienne,
- ou au contraire une écriture de tradition prépascale, si on prend les différents termes dans leur acception apocalyptique contemporaine du ministère de Jésus.
(5,26)  Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d'avoir aussi la vie en lui- même  : Voilà pour la clef de la vie !
(5,27)  et il lui a donné pouvoir d'exercer le jugement parce qu'il est le Fils de l'homme : Voilà pour la clef du jugement !
(5,28)  N'en soyez pas étonnés, car elle vient, l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix : Voilà pour la clef de la Résurrection !
(5,29)  et sortiront: ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement : Voilà enfin la synthèse des trois clefs en une seule phrase !
Ces quatre versets reprennent les trois clefs que Dieu se réserve en Shabbat et qu'il a données au "Fils/roi" après les avoir prêtées séparément et de son vivant à Elie le prophète.
Les deux évocations précédentes des clefs commentaient dans le présent le miracle de Jésus et son ministère. Jésus y apparaissait à la fois comme le prophète Elie et comme nouveau David ou "Messie d'Israël". Comme Elie, il est venu "rapprocher le cœur des Pères vers leurs fils et celui des Fils vers leurs pères" (Ml 3,22). Ce rapprochement est signifié par le pardon des péchés marqué par la guérison. Comme le Messie davidique, attendu dans l'apocalyptique qumrânienne après le Messie prophète et le Messie prêtre, Jésus apporte le jugement. En (Jn 5,26) le "fils/Roi" sur son trône dans le ciel, le "Fils de l'homme" de (Dn 7,13), partage la même vie avec le Père. Il a la vie en lui-même, comme le Père a la vie en lui-même.
En (Jn 5,27), il a aussi reçu, "l'exousia", le "pouvoir" de jugement du "Fils de l'homme" intronisé (Dn 7,14). Ce pouvoir de jugement que lui a remis le Père (1 Hénoch 49,3.4), il le garde "tout entier" (Jn 5,22). Il recouvre tous les temps depuis sa venue jusqu'à la fin des temps. On en conclut souvent que cette dernière série des trois clefs vise l'eschatologie de la fin des temps avec le "jugement dernier". Ce n'est pas faux puisque Jésus reçoit le jugement "tout entier", pour tous les temps. Il doit bien inclure celui de la fin des temps. Mais, en (Jn 5,28), cette fin des temps, déjà inaugurée par l'apocalypse de la venue du "Fils/roi" sur la terre, sera "accomplie" à l'heure de la Passion/résurrection : "Elle vient, l'heure" ! "L'heure" désigne toujours, chez Jean, l'heure de la "Passion/résurrection" ou l'intronisation du "Fils-Roi", l'heure où "tout est accompli" (Ac 2,30-33).
(Jn 5,29) La "sortie du tombeau... pour les morts" sera "pour une Résurrection de vie... et une Résurrection de Jugement". C'est le Jugement et la Résurrection (les deux clefs) pour tous ceux qui sont dans les tombeaux, à l'écoute de sa voix. Comme en (Dn 7,14) et de (Dn 12,2) : ce sera le réveil dans le ciel de ceux qui dorment, "les uns pour la vie éternelle et les autres pour l'opprobre éternelle". Le texte de Jean donne de la résurrection une vision similaire à celle de (Dn 12,4) pour la "fin des temps". Ceci veut dire que ce que Jésus accomplit sur cette terre trouvera sa pleine réalisation jusqu'à la fin des temps et ne prouve pas que la sentence de Jésus soit un ajout de l’Église postpascale.
On ne peut, en effet mettre dans le postpascal, la revendication par Jésus d'avoir, comme le Père en shabbat, la clef du jugement, parce qu'elle peut avoir une connotation eschatologique. Cette clef du jugement fait partie des trois clefs que Dieu se réserve en shabbat et qui n'ont été données partiellement qu'à Elie. Jésus la revendique. Or cette identification de Jésus à Elie, si centrale durant le ministère de Jésus, n'a plus cours dans la primitive Eglise. C'est Jean Baptiste qui, pour elle, devient Elie, précurseur de Jésus en tant que Messie d'Israël.
(5,30)  Je ne puis rien faire de moi-même.
C'est un rappel du miracle que Jésus a opéré. En guérissant, il montre sa puissance de Verbe créateur. Cela correspond à la clef de la vie.
Je juge selon ce que j'entends: et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé.
La capacité de jugement, l'exousia qui est attribuée au "fils de l'homme" dans (Dn 7,13s) ne reste pas en Dieu intronisé à côté du vieillard, elle est ici attribuée à "l'envoyé". Si l'envoyé est l'identique de celui qui l'envoie, le "Fils de l'homme" envoyé en la personne de Jésus a le partage de l'Exousia comme le "fils de l'homme" céleste parce que comme envoyé il partage l'identité de Dieu qui l'envoie.
La construction littéraire fait penser à celle du Prologue :
Dans le Prologue, les cinq premiers versets nous situent dans le ciel avec le Verbe. Puis vient le témoignage de Jean qui, avec sa communauté, préparait la route (1,6-13) à Jésus, qui a pris chair (v.14). De même, ici, Jésus partage les attributs du Père, comme s'il était dans le ciel ; il est l'"Envoyé" du Père et possède tout ce qui lui appartient.
Puis, on passe au "témoignage" de cette identité, non plus seulement par Jean Baptiste, mais par le Père lui-même, dans l'identité qu'Il manifeste avec son Fils sur la terre. 

Qui peut témoigner de Jésus en procès

(5,31)  Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n'est pas valable.
L'identité de Jésus avec le Père comme "shaliah/envoyé" doit être attestée. Jésus en témoigne par sa parole, mais pour qu'un témoignage soit valable dans le contexte juif, il faut deux témoins. Qui sera le second témoin ? Dans le Prologue, le témoin était Jean Baptiste ((Jn 1,15) développé en (Jn 1,19-28)).
(5,32)  Un autre témoigne de moi, et je sais qu'il est valable le témoignage qu'il me rend.
Quel est cet autre témoignage ?
(5,33)  Vous avez envoyé trouver Jean et il a rendu témoignage à la vérité.
Dans la ligne du Prologue, la référence est faite à Jean Baptiste. De fait, Jean Baptiste a refusé pour lui-même les titres messianiques et les a reportés sur Jésus (Jn 1), jusqu'à le désigner comme "agneau" c'est-à-dire Elie (cf. Livre d'Hénoch : le dernier agneau du bestiaire d'Hénoch auquel se réfèrent ses fidèles qui se nomment les "agneaux blancs"). Mais ici, on va plus loin : en (Mt 11), le titre d'Elie glisse de Jésus à Jean Baptiste ; ici Jésus n'est pas seulement le Elie dont Jean Baptiste a témoigné, il est ce "Fils de l'homme" céleste dont la qualité d'"envoyé" joue sur terre l'identité avec celui qui l'envoie. Et cette identité doit pouvoir se reconnaître.
(5,34)  Non que je relève du témoignage d'un homme ; si j'en parle, c'est pour votre salut.
(5,35)  Celui-là était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière.
Si Jésus fait allusion à Jean Baptiste, c'est que sa prédication annonçait le salut dans un baptême de rémission des péchés en vue de la fin du monde (cf. Lc : la hache est à la racine de l'arbre, le feu va brûler la paille).
(5,36)  Mais j'ai plus grand que le témoignage de Jean : les œuvres que le Père m'a donné à mener à bonne fin, ces œuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m'envoie.
Les œuvres, ce sont évidemment les miracles comme celui qu'il vient de faire et qui attestent de son lien avec le Père qui s'est toujours fait reconnaître par ses miracles au temps de l'Exode et par sa puissance créatrice après l'Exil dans la confession du monothéisme qui voyait en Dieu l'Amour créateur, seul Dieu du ciel et de la terre. Ces œuvres témoignent que Jésus est bien l'alter ego, l'"Envoyé" du Père.
(5,37)  Et le Père qui m'a envoyé, lui, me rend témoignage.  Vous n'avez jamais entendu sa voix, vous n'avez jamais vu sa face.
Jésus fait ici à ses détracteurs une double accusation : "Entendre la voix" était la base même de la Torah. On ne pouvait pas comprendre, mais on devait "écouter" pour entendre et mettre en pratique (Ex 19,11.21) ; (Ex 24,7.11). Jésus leur reproche de ne pas écouter et de ne pas voir, alors qu'il est l'"envoyé". Et s'ils ne reconnaissent pas et n'écoutent pas l'"Envoyé", alors ils ne reconnaissent pas Dieu et ne l'écoutent pas.
(5,38)  et sa parole, vous ne l'avez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu'il a envoyé.
(5,39)  Vous scrutez les Ecritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, et ce sont elles qui me rendent témoignage,
(5,40)  et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie !
(5,41)  De la gloire, je n'en reçois pas qui vienne des hommes ; 
(5,42)  mais je vous connais : vous n'avez pas en vous l'amour de Dieu ;
(5,43)  je viens au nom de mon Père et vous ne m'accueillez pas ; qu'un autre vienne en son propre nom, celui-là, vous l'accueillerez. 
(5,44)  Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique.  
(5,45)  Ne pensez pas que je vous accuserai auprès du Père. Votre accusateur, c'est Moïse, en qui vous avez mis votre espoir.  
(5,46)  Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c'est de moi qu'il a écrit. 
(5,47)  Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ?"
Comme le commentaire le montre, le dialogue qui suit la guérison du paralytique nous transporte dans le judaïsme de l'époque de Jésus où Elie est Le prophète attendu pour la fin des temps, où les questions autour du respect du shabbat sont longuement discutées, où la reconnaissance de Dieu se fait avant tout à travers les œuvres.

Les titres d'"Envoyé", de "messie", de "fils", ou encore de "fils d'homme venant du ciel" doivent être éclairées non seulement par certains textes de l'Ancien Testament, mais aussi par la littérature apocalyptique intertestamentaire. A la lumière de ces textes et du contexte, l'extraordinaire révélation de Jésus apparaît. 

En bref, la guérison du paralytique et la révélation de l'autorité de Jésus

La guérison du paralytique, par une parole de Jésus, en shabbat, lors la fête de Sukkot, est l'occasion d'un dévoilement : Jésus se révèle être bien plus qu'un prophète et bien plus qu'Elie lui-même. En effet, la guérison qu'il opère atteste qu'il détient les trois clés que Dieu se réserve toujours : clés de la vie, du jugement et de la résurrection. 
Jésus apparaît comme "l'Envoyé" du Père - terme qui disait l'identité entre l'envoyeur et l'envoyé. Il est aussi le "fils d'homme qui descend du ciel" (Dn 7) et qui a la même autorité que le Père. 
Les œuvres que Jésus fait (ses miracles) et la manière dont il les fait, attestent son identité divine. Si Jésus fait ce que seul le Père peut faire, c'est qu'il est l'égal du Père. 
Pour les autorités religieuses de l'époque, cela est insoutenable, mais pour ceux qui croient, les signes sont là qui attestent qu'en Jésus, le Père est présent et à l’œuvre sur la terre. 

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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