Verset(s) de la Bible Mt 5,20-26

Une lecture attentive de ces versets ne manque pas de faire choc : comment envisager qu'une simple fâcherie contre son frère puisse être sanctionnée en de telles proportions ?

Cette éthique n'est-elle pas complètement démesurée et hors de portée humaine ?

Qui donc peut demander de pratiquer cela ?

Et qu'est-ce qui peut bien présider à un tel discours ?

Voir les commentaires dans le tableau ci-dessous.

Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens

(5,20) "Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux.
(5,21) "Vous avez entendu qu'il a été dit aux ancêtres : Tu ne tueras point ; et si quelqu'un tue, il en répondra au tribunal.
(5,22) Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal ; mais s'il dit à son frère : Crétin !, il en répondra au Sanhédrin ; et s'il lui dit : Renégat !, il en répondra dans la géhenne de feu.
(5,23) Quand donc tu présentes ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
(5,24) laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton offrande.
(5,25) Hâte-toi de t'accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l'adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison.
(5,26) En vérité, je te le dis : tu ne sortiras pas de là, que tu n'aies rendu jusqu'au dernier sou.

Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Voir aussi (Les fondements bibliques, page 346).

Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture

) dans un contexte
de religions environnantes, seuil

par seuil

, dans des expressions de foi situées.

			Seuil	Expressions de la Foi	Genèse du texte

La religion mésopotamienne			1	Les dieux du ciel - Aux origines
La religion égyptienne				Patriarches - Le semi-nomadisme
La religion d'Ugarit				Assimilation/rejet - Immigration
Début de l'écriture biblique
	- VIIIe siècle	Le Baal syro-phénicien	2	Luttes contre Baal - Royaumes unifiés
	- VIIe siècle	Le Marduk assyrien		Trahison du frère - Chute de Samarie
	- VIIe siècle	Le Marduk assyrien		L'Alliance - Le Temple de Josias
	- VIe siècle	Le Marduk babylonien		Hénothéisme - L'Exil
	- Ve siècle - IVe siècle	Mazdéïsme perse		Monothéismes d'Alliance
				Prêtres et Légistes - Second Temple
				Courant apocalyptique
	- IIIe siècle	L'Hellénisme égyptien		Hellénisation - Alexandre
	- IIe siècle	L'Hellénisme syrien		Persécutions - Antiochus IV
		L'Hellénisme syrien		Séparation des Asmonéens - Esséniens
	- Ier siècle	Rome		La foi dans un Judaïsme éclaté

	de 0 à 33	Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine	3	Jésus, irruption d'un nouveau monde	MÉMOIRE 1
				Jésus et le Temple
				Jésus et la Torah
				Jésus et la Pâque
Premiers écrits du Nouveau Testament
	de 33 à 70	Judaïsme officiel	4	A Jérusalem	ECRITURE 1
				Missions Judéo-chrétiennes	RELECTURE 1
				En Samarie
				En Syrie
				A Rome
				A Ephèse
La tradition patristique
	+ 135	Judéo-christianisme		Les Pères apostoliques
				Les Pères d'Orient	RELECTURE 2
				Les Pères d'Occident
				Les Pères du désert
				Des Victorins aux Scholastiques

(MÉMOIRE 1)

Source Qumran.

Nouveaux crimes

(5,20) Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Votre justice, c'est à dire votre ajustement à Dieu, dépasse celle des scribes et des Pharisiens basée sur le consensus des Sages interprétant la Torah et vous permet, si vous la pratiquez, d'entrer dans le Royaume de Dieu.

(5,21) Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : tu ne commettras pas de meurtre. Celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal. Ce tribunal est le "beit din" local où se jugent les crimes de droit commun.

(5,22) Et moi je vous le dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Jésus, en lieu et place du consensus des scribes et Pharisiens (+1), énonce une halakhah (pratique) révolutionnaire : si l'homme est restitué dans sa beauté première d'image de Dieu (Sg 2,23s

), une simple colère contre le frère est passible du tribunal local où se jugeaient les crimes.

Celui qui dit à son frère "vide" (réqa') est justiciable devant le Sanhédrin.

Dire à son frère qu'il est "vide" (tête creuse), alors que Jésus lui redonne la présence de Dieu) se juge maintenant au Sanhédrin (au tribunal de Jérusalem), là où se jugeaient les crimes relatifs à la présence de Dieu.

Celui qui dira "possédé" sera passible de la géhenne du feu. Celui qui dit à son frère qu'il est possédé (môré folie, signe en grec de possession) est passible du tribunal céleste et puni de la géhenne.

Conclusion : Se fâcher contre le frère, le dire vide, le dire possédé sont trois griefs évalués désormais d'après la qualité de celui qui est meurtri. Celui qui est meurtri est plus qu'un frère ; il est, depuis la venue de Jésus, habité de nouveau par la présence de Dieu. Le dire "vide", c'est insulter Dieu lui-même et relève du Sanhédrin du Temple où était la présence de Dieu. S'il est habité par Dieu, dire qu'il est possédé par Baalzevuv relève directement du tribunal de Dieu et a pour sanction la géhenne ou l'enfer.

(+1) D'où la question sur son autorité qui le fait juger seul de la Torah préexistante au monde.

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(ECRITURE 1)

Commentaire catéchétique.

Images : mise en application

(5,23) Quand donc tu vas présenter ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,

(5,24) laisse là ton offrande devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère et viens ensuite présenter ton offrande.

L'image illustre ce qui précède : ton frère a quelque chose contre toi ? Souviens-toi qu'il est habité par Dieu et respecte cette Présence en lui. Celle-ci qualifie désormais toute la vie chrétienne et la réconciliation avec lui prime sur l'offrande au Temple. L'exemple montre que, ce qui change la pratique inaugurée par Jésus, c'est que l'homme est redevenu image de Dieu.

(REECTURE 1)

// (Lc 12,57-59

)

Dans l'urgence du Royaume

(5,25) Mets-toi vite d'accord avec ton adversaire tant que tu es encore en chemin avec lui, de peur que cet adversaire ne te livre au juge, le juge au garde et que tu ne sois jeté en prison. (5,26) En vérité je te le déclare : tu n'en sortiras pas tant que tu n'auras pas payé jusqu'au dernier centime.

L'image se prolonge par un message d'urgence que l'on retrouve à la fin d'un discours eschatologique chez Luc. C'est aujourd'hui et non demain qu'il faut mettre en pratique le commandement nouveau du Christ. Sinon, impossible d'entrer dans le Royaume (Mt 5,20); la prison est plutôt promise à qui passe à côté de l'image de Dieu ; C'est dire le poids et la gravité que prend tout acte dans le Royaume.

(RELECTURE 2)

Saint Jacob de Saroug, évêque de Batna, en Syrie au VI° siècle,

"Poème sur l'Amour", Col. Témoins du Christ, édition SODEC. 1989, p. 19-21.

Si Jésus est ton maître...

(...) Jésus ton Maître a changé l'eau en bon vin. Comme lui, change les choses et imite-le. Dans ton cœur, va ! Change ton ennemi en ami. Comme à Cana, tout sera nouveau pour toi et dans ton cœur.

Le Père des Cieux, tu l'appelles "Père". Alors montre que tu ressembles au Fils unique. Jésus le Fils de Dieu a changé l'eau en vin. Toi, change la dispute en paix et imite-le. Quand on lui a donné des gifles, il a présenté sa joue sans rien dire à celui qui le frappait. Et toi, pour un mot, tu t'agites, tu t'inquiètes, tu es furieux. Jésus a voulu mourir pour les pécheurs. C'est pourquoi, pour eux, il a supporté les crachats sur le visage et les coups sur le dos. Ces gens-là ne l'aimaient pas. Pourtant, le Fils de Dieu, lui, les a aimés. Et quand ils l'ont cloué sur la Croix, il s'est offert pour les sauver (...) Ton frère t'a insulté et t'a dit des paroles méchantes ; il t'a trompé. Pour toi, c'était juste. Mais le Fils de Dieu a supporté la Croix sans détester personne. Tu es le frère de ce Fils unique. Alors, si après cela tu n'aimes pas ton frère, tu ne peux pas dire "notre Père". Pardonne à ton frère qui t'a fait du mal. Dépêche-toi de faire la paix avec lui. Toi, tu écoutes la Bonne Nouvelle. Eh bien ! elle te demande d'agir ainsi. (...) Si Jésus est ton maître, voici ce qu'il enseigne : aime ton ennemi et serre-le dans tes bras comme un ami.

Ces versets appartiennent à ce que l'on appelle "le Sermon sur la montagne" (Mt 5) ; (Mt 6) ; (Mt 7), résume de l'enseignement "halakhique" de Jésus, c'est-à-dire de ce qu'il faut pratiquer dans le Royaume. Cette pratique est comme un "nouveau Sinaï" à recevoir et à comprendre à l'intérieur de l'annonce du Royaume : les Béatitudes, les paraboles

, les miracles et toute la geste de Jésus.

A cette lumière, il est clair que Jésus donne une nouvelle manière de vivre qui découle d'une recréation et en même temps qui y introduit.

En bref : relation avec l'autre : un monde nouveau !

En annonçant le Royaume, Jésus manifeste la proximité inouïe du Père ; son immense bonté et sa grande miséricorde se déversent à flots sur tous ceux qui veulent bien s'y ouvrir !

Le Royaume est là !

Désormais, la moindre fâcherie contre l'autre devient une offense directe à Dieu ; blesser le frère, c'est blesser Dieu... et se réconcilier avec le frère, c'est se réconcilier avec Dieu, c'est être remis dans la communion avec Lui !
C'est le fait que l'homme soit, par la venue de Jésus, rendu à sa beauté originelle d'image de Dieu, qui devient le critère de jugement ; es crimes ordinaires deviennent des insultes à la présence de Dieu qui habite le frère et relèvent donc des tribunaux correspondant à la gravité de l'insulte. (+1)

(+1)
Comment manifester plus concrètement que le règne de Dieu est arrivé et que nous sommes refaits à son image ?

Mais ce nouveau Sinaï est impossible ! Comment le vivre ? Pourtant, Jésus demande à ses disciples de le pratiquer... tout de suite !

Mais pas sans Lui, et en nous remettant dans la miséricorde du Père qui seul juge et qui fait briller son soleil sur les bons et les méchants.

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