Verset(s) de la Bible Is 6

Le trisagion, appelé aussi "Sanctus" dans la liturgie de l'Eglise, provient de ce chapitre 6 d'Isaïe.
Isaïe, prophète de cour à Jérusalem, sous le règne d'Achaz, puis sous le règne d'Ezéchias (8° siècle av. JC) a une vision dans le Temple :
il voit YHWH qui trône, sa gloire emplit la terre.
C'est une véritable théophanie ! Sa vision est suivie de versets énigmatiques : Dieu voudrait que le cœur de son peuple s'endurcisse, qu'il soit aveugle, afin qu'il ne se convertisse pas !?
Un message à l'opposé de ce que l'on pourrait attendre de la part de Dieu !! 

Ce n'est que remis dans leurs contextes politique et religieux que ces versets étranges peuvent s'éclairer. C'est à cette condition que nous pouvons percevoir l'étonnante avancée de foi à laquelle le prophète Isaïe invite...

Voir les commentaires dans le tableau ci-dessous.

La vocation d'Isaïe et endurcissement du cœur

(6,1)  L'année de la mort du roi Ozias (-740), je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire.  
(6,2)  Des séraphins se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes, deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrir les pieds, deux pour voler.
(6,3)  Ils se criaient l'un à l'autre ces paroles : "Saint, saint, saint est Yahvé Sabaot, sa gloire emplit toute la terre."
(6,4)  Les montants des portes vibrèrent au bruit de ces cris et le Temple était plein de fumée.
(6,5)  Alors je dis : "Malheur à moi, je suis perdu ! car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au sein d'un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, Yahvé Sabaot."
(6,6)  L'un des séraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu'il avait prise avec des pinces sur l'autel.
(6,7)  Il m'en toucha la bouche et dit : "Voici, ceci a touché tes lèvres, ta faute est effacée, ton péché est pardonné."
(6,8) Alors j'entendis la voix du Seigneur qui disait: "Qui enverrai-je? Qui ira pour nous?" Et je dis: "Me voici, envoie-moi."
(6,9) Il me dit: "Va, et tu diras à ce peuple: Ecoutez, écoutez, et ne comprenez pas; regardez, regardez, et ne discernez pas. 

(6,10) Appesantis le coeur de ce peuple, rends-le dur d'oreille, englue-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que son coeur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne soit guéri."
(6,11) Et je dis: "Jusques à quand, Seigneur?" Il me répondit: "Jusqu'à ce que les villes soient détruites et dépeuplées, les maisons inhabitées; que le sol soit dévasté, désolé; 

(6,12) que Yahvé en chasse les gens, et qu'une grande détresse règne au milieu du pays.
(6,13) Et s'il en reste un dixième, de nouveau il sera dépouillé, comme le térébinthe et comme le chêne qui une fois émondés n'ont plus qu'un tronc; leur tronc est une semence sainte."

Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Pour voir le texte biblique complet de Is 6

Voir aussi (Les fondements bibliques, pages 135, 240, 242, 263, 306, 336, 358) 
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie MEMOIRE 1  
L'Alliance - Le Temple de Josias ECRITURE 1  
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre ECRITURE 2  
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde MEMOIRE 2  
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem E>CRITURE 3  
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
Le récit de vocation d'Isaïe ouvre "le livret de l'Emmanuel" (Is 6,1 à 9,6).

Ce livret se situe au centre d'un ensemble (5,8 à 8,19). Il est précédé d'une évocation du procès que YHWH fait à son peuple du Sud (1,2 à 5,7) et est suivi d'un livret sur le "reste" de ce peuple (10,20 à 11,16) (+1).
Le récit de vocation n'est pas, comme dans nos biographies modernes, le point de départ de la vie du prophète. Il recouvre la période qui suit Ozias/Azarias (son fils Yotam et petit fils Achaz) et situe la vie du prophète dans cette période qui comprend, comme élément majeur, l'Alliance d'Achaz avec l'Assyrie, c'est-à-dire la trahison par le Sud de l'Israël du Nord lors de la guerre syro-éphraïmite.

Vocation d' Isaïe dans un contexte chahuté

(6,1)  L'année de la mort du roi Ozias,(Azarias (-734) nous sommes entre -740 et -734 date de la première intervention politique d'Isaïe)(+1). Damas et l'Israël du Nord veulent réitérer la coalition du temps d'Achab contre l'Assyrie (-854), mais le Sud, craignant un retour au Baal auquel Jéhu vient de mettre fin, refuse d'entrer dans la coalition syro-Ephraïmite dirigée par Raçon de Damas et Peqah de Samarie (Is 7,4-9). Le roi de Jérusalem, Achaz, poursuivi par la coalition, fait appel à Téglat Phalasar (2 R 16,7) qui s'empare de Damas. Achaz monte à Damas rencontrer Sennachérib et  fait alliance avec lui. C'est alors que Achaz, subjugué par le culte assyrien demande au prêtre Uriyya d'aménager le Temple pour faire toute la place au dieu assyrien (2 R 16,17s). Isaïe, opposé à toutes ces alliances, trouve alors sa vocation racontée au ch.6 juste avant ces évènements. 
je vis mon Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire. YHWH a repris ses droits sur le Dieu Assyrien qui avait pris sa place dans le temple. C'est lui, dans la vision d'Isaïe, qui emplit tout le sanctuaire.  
(6,2) Des séraphins se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes, deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrir les pieds, deux pour voler.  
(6,3) Ils se criaient l'un à l'autre ces paroles: "Saint, saint, saint est Yahvé Sabaot, sa gloire emplit toute la terre." YHWH n'est pas encore célébré comme unique Dieu du ciel et de la terre, mais il est séparé des autres dieux que l'on repousse, c'est lui qui régit la terre sur laquelle Juda est implanté et accueilles les tribus du Nord qu'Achaz vient de trahir en lui préférant le l'alliance avec l'Assyrie. 
 (6,4) Les montants des portes vibrèrent au bruit de ces cris et le Temple était plein de fumée. YHWH a définitivement pris le pas sur le dieu de l'orage et le Baal. 
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(+1) 
Jacques Vermeylen IAT p.416
(+2) 
Sous le règne duquel les oracles d'Amos, d'Osée, les récits sur Elie/Elisée et Gédéon sont peut-être déjà mis par écrit et conservés à Samarie. 

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Ce type de récit de vocation comprend généralement une vision, un signe et une mission.

On a ici la première partie en "Je". Il y aura ensuite un récit en "il" (Is 7) portant sur le "signe" de l'Emmanuel. Puis de nouveau un récit en "Je" (Is 8) sur la "mission" du prophète. 

Le récit de vocation

(6,1)  Je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire. « Je » vis mon Seigneur (en hébreu : Adonaï) assis sur un trône élevé. Adonaï est vu comme roi à l’instar du Dieu-roi Assur. Sa traîne remplit le Hékhal (grande salle du Temple) et efface l'image du Dieu assyrien intrônisé par Achaz. Quand Josias édite ces mémoires du prophète Isaïe au début de son ministère, il les inscrit comme un programme de vocation de prophètes. Il a toujours voulu, dans l'histoire de la dynastie davidique, fonder son credo d'Alliance avec YHWH sur les prophètes, que ce soit Ulda dans le Temple des tribus rassemblées qu'il inaugure (2 R 22,14), que ce soit les prophètes Elie et Elisée (1 R 17 - 2 R 8) emblématiques avec Osée de la fidélité dans le Nord. À La suite d'Amos, Isaïe à son tour, prend le relais des Deborah, Gédéon (Jg 5s) et, finalement de Samuel dans le Sud. Josias fonde sur les prophètes le renouvellement de la lutte contre les idoles et la fidélité à son credo d'Alliance avec YHWH dont il fait la base du nouveau code de gouvernement. En même temps, cette prise de position d'Isaïe, déculpabilisait le Sud et sa dynastie de la trahison du frère du Nord, opérée par Achaz au mépris de l'Alliance avec YHWH.

(6,2)  Des séraphins/brûlants  (+1) se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes, deux pour se couvrir la face (on ne peut pas voir Dieu), deux pour se couvrir les pieds, (les pieds sont un euphémisme pour désigner le sexe : YHWH ne se confond pas avec la fécondité) deux pour voler : ils occupent l'espèce intermédiaire entre Dieu et les hommes. Des séraphins surplombent son trône de leurs ailes protectrices, six ailes à chacun. Tous les symboles des divinités assyriennes sont maintenant au service de la Gloire de YHWH.
Achaz avait supprimé une partie du mobilier du temple pour faire la place au culte assyrien. Isaïe réagit : Sa vision montre que c'est YHWH qui occupe tout l'emplacement du temple et les Séraphins ailés, emblèmes du culte assyrien comme des religions avoisinantes, sont maintenant consacrés à la seule louange de YHWH Saint (c'est-à-dire "séparé"). La vision comme tout texte de vocation prélude à l'ensemble de l'activité d'Isaïe.
(6,3)  Ils se criaient l'un à l'autre ces paroles : "Saint, saint, saint : la répétition est un moyen d'exprimer le superlatif de Qadosh/à part. est Yahvé Sabaot, le Dieu des armées célestes, héritage du désert, est tout à fait « à part ». Sa gloire emplit toute la terre."  Même si le dieu Assur est honoré par Achaz au sein du Temple, YHWH est "à part". Toute la terre - c'est-à-dire le pays de Juda - (+2) est pleine de sa « gloire », c'est-à-dire de sa présence. Ainsi, le Dieu Assur, installé à la place d'honneur par Achaz, est-il détrôné par YHWH. Les divinités protectrices entourant le culte assyrien disent maintenant la "gloire" de YHWH. Le mixage des dieux imposé par la mésalliance d'Achaz laisse la priorité à YHWH Qadosh/saint/à part des autres dieux.
 
(6,4)  Les montants des portes vibrèrent au bruit de ces cris et le Temple était plein de fumée. Les colonnes tremblent et toute la demeure s’emplit de fumée. YHWH-Roi maîtrise aussi l'orage et est donc aussi vainqueur du Baal, comme dans les théophanies du Sinaï. L'abondon des cultes au Baal est ici joint à la priorité de YHWH sur le dieu assyrien. Ce n'est pas encore le monothéisme, mais le refus d'assimiler ce qui fait obstacle au credo des pères. C'est un réflexe d'assimilation/rejet, mais dans un contexte où la victoire n'est plus garante du bien-fondé du credo. En effet toutes les tentatives de se libérer du joug assyrien avec l'aide de l'Egypte (de -727 à -705) se révèleront infructueuses, et la solidarité entre tribus, levier de la victoire dans l'assimilation/rejet, a été rompue par la trahison d'Achaz. YHWH doit donc se situer au-delà de toutes les alliances avec les peuples et leurs dieux. Le résultat des guerres ne décide plus de la place de YHWH dans l'échelle des dieux. Que les guerres soient gagnantes ou perdues c'est toujours YHWH qui en est l'arbitre. Mais, dans ce cas, une guerre perdue ne dit plus la supériorité du dieu adverse mais signale la faute du peuple qui amène YHWH, seul arbitre, à se servir des ennemis pour frapper Israël ou Juda. La nouvelle clef de discernement est ainsi posée qui ne manque pas d'effrayer le prophète.

(6,5)  Alors je dis : "Malheur à moi, je suis perdu ! "perdu/réduit au silence" cf. Moïse au buisson (Ex 4,10). car je suis un homme aux lèvres impures, j'habite au sein d'un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, Yahvé Sabaot."  La pureté - toujours rituelle - n’est plus, puisque l’autel d’Assur-Roi souille le Temple. La théophanie montre la suprématie de YHWH Roi des armées du ciel et révèle au prophète l’impureté : le dieu assyrien est dans le Temple et se fait passer pour YHWH ! Seul YHWH peut purifier ce  nouveau "modernisme" (+3) aussi dangereux que celui qui, avec Elie, avait reconnu à YHWH les attributs de Baal.          
en savoir plus
(+1) 
Des serpents brûlants étaient vénérés dans les mines de cuivre près d'Eilat (Römer, Invention 56s) (Dt 8,15). Ils seront détruits par Ezéchias (2 R 18,4). Qu'ils soient brûlants peut être lié aux divinités de l'orage. Par contre ils sont ici dépeints avec des ailes comme les cherubim/karubu (vents portant les semences dans les cultes agraires ou  divinités protectrices des sanctuaires assyriens : deviendront les kerubim entourant l'arche). 

(+2) 
Dans la relecture postexilique : la terre entière.

(+3) 
On appelle "modernisme" une façon de pactiser avec le monde "moderne" pour s'approcher de Dieu, avec le risque de le confondre avec la modernité et ainsi de le compromettre. Un bon "modernisme" gardera l'essentiel tout en rejetant les effets pervers de l'acculturation qui risque de compromettre le credo en le diluant aux cultures rencontrées.
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Le Ch. 6 se divine en trois parties : la vision que nous venons de voir (v.1-5), le signe donné par Dieu (v.6.7) et l'envoi en mission (v.8-13).
L'ensemble des Ch. 6-9, entouré de deux expressions de la colère divine (5,25-30 et 9,7-20), comprend les mêmes dispositifs : 6 la vision ; 7 le signe ; 8 la mission du prophète.

"Vision, signe, mission" du récit de vocation recouvrent toute l'activité du prophète et sont donc à interpréter en tenant compte de leur élargissement dans les ch.6.7.8 

Le signe donné par Dieu

(6,6)  L'un des séraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu'il avait prise avec des pinces sur l'autel. Le signe est donné ici dans le temple. Il concerne la pureté rituelle à restaurer depuis la compromission d'Achaz avec le dieu assyrien. Au ch.7, le signe sera donné au roi et à la cour par l'inauguration du règne d'Ezéchias, le petit dauphin dont Isaïe a la charge et qu'il présente comme l'Emmanuel (Dieu avec nous).

(6,7)  Il m'en toucha la bouche et dit : "Voici, ceci a touché tes lèvres, ta faute est effacée, ton péché est pardonné."  Le séraphin avec une braise tirée de l’autel touche la bouche d'Isaïe. La faute et le péché résultant de la mésalliance et de la trahison du frère par Achaz, n'affectent plus la vie du prophète qui se trouve ainsi pardonné (6,6s) et libre de parler. Isaïe va pouvoir prêcher un YHWH-Roi sans confusion avec Assur-roi.


La vocation prophétique comprend une vision, un signe et un envoi en mission. On a ici l'envoi en mission.




Vocation d' Isaïe : La mission

(6,8)  Alors j'entendis la voix du Seigneur qui disait : "Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ?" Et je dis : "Me voici, envoie-moi." J’entendis la voix de YHWH qui disait « qui enverrai-je ? ». Moïse (Ex 4,12-16), lui aussi, dans les "mémoires" tribales sollicitées par Josias, est envoyé en mission. Mais il refuse, prétextant son incapacité à parler. Isaïe accepte : « Me voici, envoie-moi ! » Il est clair que le prophète a pour vocation d’annoncer l'importance de la trahison envers le frère du Nord ne même temps qu'envers YHWH et ses conséquences dans l'aveuglement et la surdité du Royaume de Juda. Une étape dans la perception de YHWH est franchie dans l'alliance avec l'Assyrie qui domine alors le Moyen-Orient, mais les effets pervers de ce "modernisme" sont immenses : trahison politique (+1) et risque de retour à l'idolâtrie

(6,9) Il me dit: "Va, et tu diras à ce peuple: Ecoutez, écoutez, et ne comprenez pas; regardez, regardez, et ne discernez pas.  
(6,10) Appesantis le coeur de ce peuple, rends-le dur d'oreille, englue-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que son coeur ne comprenne,  YHWH est roi et cela suffit pour qu’on l’écoute. Les repères de la guerre sainte, qui mesuraient à la réussite le bien-fondé de l'action menée sous la conduite de YHWH, disparaissent ! Les critères de visibilité de l'action de Dieu ont changé, de même que ceux qui garantissaient le bien-fondé du credo par la réussite militaire suivie de la paix (+1). De même la victoire ou la défaite ne détermineront plus la puissance de YHWH. Tel est le credo de Josias quand il rapporte la vocation d'Isaïe. Dieu est sauveur chez les vainqueurs de Sennachérib et que la Jérusalem est sauvée. Il est aussi le Dieu des vaincus de Samarie. Dieu ne se mesure plus à la réussite des combats. Tel est la leçon de la réunification du Nord et du Sud après -721
quand on rassemble les traditions du Nord et du Sud.  
de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n'entendent, que son coeur ne comprenne, de peur qu'il ne fasse volte face et ne soit guéri."Qu’il ne fasse pas machine arrière (le verbe "lashub" signifie faire demi-tour, d'où au plan spirituel "se convertir") pour être guéri. Qu'il ne retourne pas à ses remèdes d'autrefois, au temps de son assimilation avec le dieu Baal (+2) pour y trouver le salut.
Le nouveau modernisme prôné par Isaïe déroute le peuple. Il avait connu les victoires au temps des juges, de même que dans l’alliance avec l'Egypte et la Phénicie au temps de la coalition contre les Assyriens et sa victoire à Qarqar. 
Achaz préfère maintenant l’alliance avec l’Assyrie. Mais n’est-ce pas encore un retour aux vieux remèdes ? 
Isaïe dit : "c'est YHWH qui règne ! Qu’Israël fasse la sourde oreille aux prêcheurs politiques, dans une confiance aveugle à YHWH – même si cela paraît fou !" 
C'est ce renversement qu'Isaïe veut prêcher conformément à sa mission. Juda doit éviter de voir ce qu'il y a dans le Temple, se boucher les oreilles ne pas voir l'idole qu'Achaz y honore, de peur qu'il ne returne à ses vieux démons pensant par eux être guéri.

(6,11)  Et je dis : "Jusques à quand, Seigneur ?" Il me répondit : "Jusqu'à ce que les villes soient détruites et dépeuplées, les maisons inhabitées ; que le sol soit dévasté, désolé; YHWH est roi ; c'est lui qui maintenant va se servir des puissants pour détruire et punir son peuple pour son péché de trahison du frère et de mise sur les autels du roi assyrien.
Le retour en arrière pour être guéri serait encore une régression et le résultat ne sera pas au rendez-vous. C'est le même vocabulaire que Osée avec le piège du « retour en arrière » perçu comme « guérison ».

(6,12)  que Yahvé en chasse les gens, et qu'une grande détresse règne au milieu du pays.

(6,13)  Et s'il en reste un dixième, de nouveau il sera dépouillé, comme le térébinthe et comme le chêne qui une fois émondés n'ont plus qu'un tronc ; leur tronc est une semence sainte." Il peut s’agir de la menace d’un exil par les Assyriens dont on connaissait les mœurs en cas de victoire : déportation des populations et remplacement par des populations assyriennes (2 R 17,24). C’est ce qui arrivera au royaume du Nord en (-721). Cet oracle a évidemment pu être repris sur le mode de la relecture dans le contexte de l’Exil à Babylone. C’est sans doute dans la ligne d’Osée (Os 6,1-6) qu’il faut interpréter la vocation d’Isaïe (Is 6,10) 
en savoir plus
(+1)
Si on compare cet envoi en mission à celui qui est développé au ch. 7, non plus au Temple mais auprès du roi, il est clair que la mission du prophète n'est plus seulement cultuelle mais politique. Il annonce la mise sur le trône de celui dont il a la tutelle à la cour et avec cette intronisation la certitude que sa mission sera bien accomplie par celui qu'il a tenu jusque-là sous sa coupe (on ira voir le commentaire du Ch. 7).
(+2) Le livre des Juges décrit les conflits en faveur du credo des tribus. Ils sont toujours suivis d'une période de paix, jusqu'au prochain péché.
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Le sens de ce chapitre ne peut se comprendre que dans le contexte tumultueux de l'invasion assyrienne qui sème la panique au Nord (Samarie, Damas), comme au Sud (Juda).
Isaïe, prêtre et prophète de cour à Jérusalem, renonce à bercer d'illusion les chefs et le peuple : il annonce - à sa manière - un contre-exode. Son attachement à YHWH, sans regard en arrière, provoquera une avancée de foi saisissante.

En (Mt 13,15), Jésus reprend certains versets de (Is 6). Le contexte est bien différent, mais  dans les deux cas, le texte d'Isaïe invite à un passage, le "seuil de foi".

En bref : La vocation d'Isaïe et l'endurcissement du coeur

La vision d'Isaïe révèle la sainteté de YHWH :"saint" - kaddosh - c'est-à-dire "séparé" ; YHWH est "autre", ne correspondant plus à ce que l'on connaissait de lui... Il est plus grand et moins compréhensible. 
YHWH est roi : contrairement aux évidences, c'est YHWH qui règne et non le dieu assyrien de Sargon II. Oui ! C'est bien YHWH qui mène le jeu, malgré les apparences ; il est maître de l'histoire - c'est-à-dire maître de ce qui se passe en ce lieu et à ce moment (+1)

Le prophète est impur et habite un peuple impur : cette impureté est due à l'alliance que le roi Achaz a fait avec l'Assyrie qui se manifeste par la présence du dieu assyrien dans le Temple de YHWH ; Dieu seul peut purifier.
L'endurcissement du cœur
: lorsque Dieu parle à son peuple, c'est pour le guider, l'éclairer. Or, ici, sa parole se fait ténèbres et provoque une crise ; c'est l'appel à renoncer à s'appuyer sur les repères connus pour entrer dans l'inconnu de la foi. Pour cela, le peuple n'a pour appui que la parole du prophète. Il doit accepter de ne pas comprendre, de ne pas voir, car il risquerait alors de se "convertir", "de retourner en arrière" c'est-à-dire de croire qu'en criant vers YHWH, en se coalisant avec le royaume frère contre l'ennemi, il aura la victoire, comme au temps de l'Exode. Le peuple ne doit pas se fier à ce qu'il connaît de la foi, mais mettre sa foi en YHWH, alors même que les signes extérieurs de sa Présence s'effacent ou se brouillent.
Pourtant, c'est bien YHWH qui mène le jeu.
Avec le premier Isaïe, nous entrons dans la perception de la distance entre les vues humaines et celle de Dieu : la pédagogie divine ne passera pas par la conversion conduisant à la victoire, mais par une fidélité à YHWH alors même que l'on ne comprend pas ce qu'il fait. La foi - l'alliance - sera purifiée par ce creuset(Is 1,25). 
Il y a ici un pas décisif vers le monothéisme d'Alliance. 
en savoir plus
(+1) 
"toute la terre" renvoie à la terre connue, là où se passent les événements... La foi monothéiste n'arrive que plus tard, à la fin de l'exil à Babylone.
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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

En savoir plus
Le blasphème de JésusLe blasphème de Jésus
Les fondements bibliquesLes fondements bibliques
Entrer dans la foi avec la BibleEntrer dans la foi avec la Bible
Autre publication du père Jacques Bernard
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