Verset(s) de la Bible Is 51

Ce chapitre du 2° Isaïe aborde trois thèmes importants du livre de la Genèse :
le patriarche Abraham, l'Exode et la création du monde.

Plusieurs questions se posent : 
Qui est Abraham pour l'auteur ?
D'où le connaît-il et que représente-t-il pour lui ?
De même, l'Exode et la création sont-ils appréhendés de la même manière qu'en Genèse ?  
 
Voir commentaire du texte après le tableau boussole.

Abraham - Exode - Création

(51,1)  Ecoutez-moi, vous qui êtes en quête de justice, vous qui cherchez Yahvé. Regardez le rocher d'où l'on vous a taillés et la fosse d'où l'on vous a tirés.
(51,2)  Regardez Abraham votre père et Sara qui vous a enfantés. Il était seul quand je l'ai appelé, mais je l'ai béni et multiplié.
(51,3)  Oui, Yahvé a pitié de Sion, il a pitié de toutes ses ruines ; il va faire de son désert un Eden et de sa steppe un jardin de Yahvé ; on y trouvera la joie et l'allégresse, l'action de grâces et le son de la musique.
(51,4)  Ecoute-moi bien, mon peuple, ô ma nation, tends l'oreille vers moi. Car une loi va sortir de moi, et je ferai de mon droit la lumière des peuples... 
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Pour voir le texte biblique complet de Is 51

Voir aussi (Les fondements bibliques pages 71, 141, 264, 268, 276, 352, 458)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias MEMOIRE 1  
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance ECRITURE 1  
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
Il est manifeste qu’il existait vers le milieu du VI° siècle une tradition d’un patriarche Abraham considéré comme appelé par Dieu, comme ancêtre du peuple, premier possesseur du pays et béni par une descendance nombreuse. Cette tradition était connue des exilés comme de ceux qui étaient restés au pays.

Même si cette tradition a pu être relue après l’Exil, sa présence chez Isaïe et Ezéchiel ne permet pas de dire qu’elle est postexilique.

Bien mieux, la référence à Abraham ouvre sur la référence au passage du désert à l’Eden comme dans le texte de création (Gn 2,8). Les traditions de création en Eden, présentes aussi dans (Ez 28), précèdent donc le temps de l’Exil.

En Is 51,4 la Torah est tirée de cette action de salut comme la Torah est donnée à Adam après son passage en Eden. Ces traditions devraient donc une fois encore s’enraciner au temps de Josias.

(Pentateuque en question, Labor et Fides 1989 p.265-270) 

Abraham - Exode - Création

(51,1)  Ecoutez-moi, vous qui êtes en quête de justice, vous qui cherchez Yahvé. Regardez le rocher d'où l'on vous a taillés et la fosse d'où l'on vous a tirés.
(51,2)  Regardez Abraham votre père et Sara qui vous a enfantés. Il était seul quand je l'ai appelé, mais je l'ai béni et multiplié.
(51,3)  Oui, Yahvé a pitié de Sion, il a pitié de toutes ses ruines ; il va faire de son désert un Eden et de sa steppe un jardin de Yahvé ; on y trouvera la joie et l'allégresse, l'action de grâces et le son de la musique.
(51,4)  Ecoute-moi bien, mon peuple, ô ma nation, tends l'oreille vers moi. Car une loi va sortir de moi, et je ferai de mon droit la lumière des peuples.
(51,5)  Soudain ma justice approche, mon salut paraît, mon bras va punir les peuples. Les îles mettront en moi leur espoir et compteront sur mon bras.
(51,6)  Levez les yeux vers le ciel, regardez en bas vers la terre ; oui, les cieux se dissiperont comme la fumée, la terre s'usera comme un vêtement et ses habitants mourront comme de la vermine. Mais mon salut sera éternel et ma justice demeurera intacte.
(51,7)  Ecoutez-moi, vous qui connaissez la justice, peuple qui mets ma loi dans ton cœur. Ne craignez pas les injures des hommes, ne vous laissez pas effrayer par leurs outrages.
(51,8)  Car la teigne les rongera comme un vêtement, et les mites les dévoreront comme de la laine. Mais ma justice subsistera éternellement et mon salut de génération en génération.  
On trouve les thèmes suivants : 

1. Abraham est considéré comme le roc (après Dieu) et Sara comme la tranchée (ou sillon d’une terre travaillée. Pointe et trou désignent le couple « mâle/pointe et femelle/trou). L’un est Père, l’autre vous a enfantés. Ceux qui écoutent se savent fils d’Abraham et de Sara.


2. Le père qui était seul a été multiplié. Thématique de la descendance nombreuse.


3. Les ruines seront remplacées par un Eden. Thématique de la terre donnée par YHWH.


4. On a le thème de la vocation d’Abraham, absent de (Ez 33,24).



Les textes d’(Ez 33,24) et d'Is 51,12 sont les seules références à Abraham chez les prophètes, en dehors du Pentateuque
« Fils d’homme, ceux qui habitent ces ruines au pays d’Israël disent : « Abraham qui était seul, prit possession du pays : nous qui sommes nombreux c’est à nous que le pays a été donné en possession. » Eh bien dis-leur : ainsi parle le Seigneur YHWH : vous mangez le sang, vous levez les yeux vers les idoles, vous répandez le sang et vous posséderiez le pays ! »

1. Il est clair que « ceux qui habitent ces ruines au pays d’Israël » considèrent Abraham comme l’ancêtre dont l’histoire est emblématique pour ses descendants : ce qu’il a fait seul, ses descendants peuvent le faire nombreux.

2. Il est tout aussi clair que le personnage d’Abraham est lié à la possession de la terre : ce qu’il « a pris en possession » sera « donné » à ses descendants.

3. Le personnage d’Abraham est lié à la thématique de la descendance nombreuse. 


Le récit de l’Exode ou celui du rapatriement des exilés sur leur terre est maintenant comparé à la création du monde chez les babyloniens où le Dieu Mardouk fend le dragon marin pour qu’apparaisse, comme l’arête du poisson, la terre sèche, entre les eaux d’en haut (le haut du poisson devenant le ciel et les eaux d’en bas devenant la mer). 
(51,9)  Eveille-toi, éveille-toi ! Revêts-toi de force, bras de Yahvé. Eveille-toi comme aux jours d'autrefois, des générations de jadis. N'est-ce pas toi qui as fendu Rahab, transpercé le Dragon ? 
(51,10)  N'est-ce pas toi qui as desséché la mer, les eaux du Grand Abîme ? Qui as fait du fond de la mer un chemin, pour que passent les rachetés ?  Les exodes divers au temps de l'immigration sont rassemblés dans un cadre babylonien par Isaïe (Ex 14,21).
(51,11)  Ceux que Yahvé a libérés reviendront, ils arriveront à Sion criant de joie, portant avec eux une joie éternelle ; la joie et l'allégresse les accompagneront, la douleur et les plaintes cesseront.
(51,12)  C'est moi, je suis celui qui vous console ; qui es-tu pour craindre l'homme mortel, le fils d'homme voué au sort de l'herbe ?
(51,13)  Tu oublies Yahvé, ton créateur, qui a tendu les cieux et fondé la terre, et tu ne cesses de trembler tout le jour devant la fureur de l'oppresseur, lorsqu'il se met à détruire. Où donc est la fureur de l'oppresseur ?
(51,14)  Le désespéré va bientôt être libéré, il ne mourra pas dans la basse-fosse, il ne manquera plus de pain.
(51,15)  Je suis Yahvé ton Dieu, qui brasse la mer pour faire mugir ses flots, dont le nom est Yahvé Sabaot.
(51,16)  J'ai mis mes paroles en ta bouche, à l'ombre de ma main je t'ai caché, pour tendre les cieux et pour fonder la terre, pour dire à Sion : "Tu es mon peuple."
(51,17)  Réveille-toi, réveille-toi, debout ! Jérusalem. Toi qui as bu de la main de Yahvé la coupe de sa colère. C'est un calice, une coupe de vertige que tu as bue, que tu as vidée.
(51,18)  Personne ne la guide, aucun des fils qu'elle a enfantés ; personne ne lui prend la main, aucun des fils qu'elle a élevés.
(51,19)  Ce double malheur qui t'est arrivé, qui t'en plaindra ? Le pillage et la ruine, la famine et l'épée, qui t'en consolera ?
(51,20)  Tes fils gisent sans force au coin de toutes les rues, comme l'antilope prise au filet, ivres de la fureur de Yahvé, de la menace de ton Dieu.
(51,21)  C'est pourquoi, écoute ceci, malheureuse, ivre, mais non de vin :
(51,22)  Ainsi parle ton Seigneur Yahvé, ton Dieu, défenseur de ton peuple : Voici que je te retire de la main la coupe de vertige, le calice, la coupe de ma fureur. Tu n'y boiras plus jamais.
(51,23) Je la mettrai dans la main de tes tortionnaires, de ceux qui te disaient : A terre ! que nous passions ! et tu faisais de ton dos un passage, un chemin pour qu'ils y passent.
Ainsi parlait le 2° Isaïe au temps de la victoire de Cyrus, le conquérant perse, sur Babylone. Le Dieu d’Israël allait renouveler la délivrance de son peuple, comme après l’écrasement de l’Egypte il avait assuré la délivrance de Jérusalem. C’était maintenant au tour de Babylone à être écrasée, et les exilés rentreraient chez eux comme autrefois en traversant le désert. Le Dieu d’Israël empruntait pour sa victoire les armes cosmiques attribuées au dieu babylonien Mardouk et le passage des eaux du Qishon, du Jourdain ou de la mer des roseaux, véhiculés dans les mémoires prenaient l’allure  d’une création du monde entre les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, comme lorsque Mardouk avait fendu le montre marin pour qu’apparaisse la terre (Ex 14,21).
Ce chapitre 51 a été écrit par un exilé, disciple d'Isaïe, qui a reconnu en YHWH le seul et unique Dieu. La foi monothéiste l'incline à relire avec un regard neuf toute l'histoire du peuple, depuis l'ancêtre Abraham et même depuis la création du monde. 

En bref : Abraham - Exode - Création

Abraham est l'élu par excellence à qui Dieu a donné la terre et une descendance alors même qu'il n'avait ni terre, ni descendance assurée.
L'ancêtre porte désormais l'expérience des exilés et en devient la figure, mais il porte également la mémoire de l'histoire du peuple : celles des délivrances d'Egypte, et autres oppressions...
L'Exode devient sous la plume de l'exilé, non seulement l'événement de salut fondateur, mais une véritable création du monde !
Le vieux mythe de création babylonien est repris pour devenir une confession de foi en l'unique Dieu, créateur de toute chose : YHWH.   

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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