Verset(s) de la Bible Ex 15,1-21

Ce chant de victoire suit immédiatement le récit du "miracle de la mer" ; il est une acclamation à YHWH pour ses prouesses.

A quel événement se réfère ce cantique ?

D'où vient-il ? D'une tradition orale ancienne ou a-t-il été composé plus tardivement ?

Peut-il être comparé à d'autres cantiques de la Bible ?

Quelle théologie se dégage de ce cantique ?


Voir les commentaires dans le tableau ci-dessous.

Le cantique de Moïse et de Myriam

(15,1)  Alors Moïse et les Israélites chantèrent pour Yahvé le chant que voici : "Je chante pour Yahvé car il s'est couvert de gloire, il a jeté à la mer cheval et cavalier.
(15,2)  Yahvé est ma force et mon chant, à lui je dois mon salut. Il est mon Dieu, je le célèbre, le Dieu de mon père et je l'exalte.
(15,3)  Yahvé est un guerrier, son nom est Yahvé.
(15,4)  Les chars de Pharaon et son armée, il les a jetés à la mer, l'élite de ses officiers, la mer des Roseaux l'a engloutie.
(15,5)  Les abîmes les recouvrent, ils ont coulé au fond du gouffre comme une pierre.
(15,6)  Ta droite, Yahvé, s'illustre par sa force, ta droite, Yahvé, taille en pièces l'ennemi...
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Pour voir le texte biblique complet de Ex 15

Voir aussi (Les fondements bibliques, pages 94 et 139)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration MEMOIRE 1  
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias MEMOIRE 2  
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance ECRITURE 1  
Prêtres et Légistes - Second Temple ECRITURE 2  
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 1)
Le chant de victoire après le passage de la mer entre dans le processus narratif que l’on retrouve dans tous les récits d’exode écrits sous Josias : celui de Déborah, par exemple (Jg 5), ou encore la célébration de la Pâque qui suit le passage du Jourdain (Jg 4) - même si ce récit n’est pas à proprement parler un hymne, il est une célébration liturgique de l'événement.

C'est la même époque rédactionnelle.  

Cette composition sur le mode liturgique peut dater du premier temple au 8°s. puis du second temple au 6°s. Par contre, le contenu des hymnes d'Exode 15, comme de (Jg 5) a des éléments archaïques pouvant remonter aux combats d'assimilation-rejet, au temps de la lutte contre le baal au 9°s dans le Nord. 

Ici, en Ex 15, l’appellation de YHWH comme « Dieu de mon Père » (15,2) est typique de la religion tribale semi-nomade, de même YHWH « guerrier ». 

Le cadre du chant de Moïse ou de Josias

(15,1)  Alors Moïse et les Israélites chantèrent pour Yahvé le chant que voici : "Je chante pour Yahvé car il s'est couvert de gloire, il a jeté à la mer cheval et cavalier.
Moïse introduit le chant par un refrain que l'on retrouvera à la fin, en forme d'inclusion, mais cette fois, dans la bouche de Myriam, sœur d'Aaron. 
Ce Moïse qui chante la victoire doit être de la plume d'Ezéchias ou plus vraisemblablement de Josias.

Je chante pour Yahvé car il s'est couvert de gloire, il a jeté à la mer cheval et cavalier.
(15,2)  Yah est ma force et mon chant, à lui je dois mon salut. Il est mon Dieu, je le célèbre, le Dieu de mon père et je l'exalte. 

(15,3)  Yahvé est un guerrier, son nom est Yahvé. 
Le chant exalte ici le Dieu YHWH qui est à la fois le Dieu du père et YHWH le Dieu des étoiles du ciel qui guident au désert. C'est aussi le Dieu des armées célestes qui participent au combat pour défendre le troupeau et ses gardiens.
Après l'entrée dans la terre de Canaan, YHWH restera ce Dieu qui donne la victoire dans les combats d'assimilation/rejet. (+1)

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(+1)
Voir assimilation/rejet : les tribus remportent la victoire en se rassemblant pour lutter contre les habitants de Canaan qui rejettent les immigrants quand ils refusent de s'assimiler complètement.
 
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(MEMOIRE 2)
On peut dégager dans ce chant des éléments anciens remontant au temps de l'assimilation/rejet mais relus à l'époque du premier Temple sous Josias. Ils sont à distinguer des éléments typiquement postexiliques que nous placerons au niveau de l'écriture à l'époque du second Temple.
(15,4)  L'élite de ses officiers, la mer des Roseaux l'a engloutie.
C'est un récit d'Exode avec marais asséchés sur la côte. (+1)
    

(15,5)  Ils ont coulé au fond du gouffre comme une pierre.
(15,6)  Ta droite, Yahvé, s'illustre par sa force, ta droite, Yahvé, taille en pièces l'ennemi. 
On retrouve le Dieu guerrier donnant la victoire aux tribus. Le chant est proche du cantique de Déborah.

(15,7)  Par l'excès de ta majesté, tu renverses tes adversaires, tu déchaînes ta colère, elle les dévore comme du chaume. 
Le Dieu décrit est à la fois dieu de la guerre et un dieu de l'orage ; ce sont là les attributs de Baal (cf. Elie au mont Carmel (1 R 18). 

(15,9)  L'ennemi s'était dit : Je poursuivrai, j'atteindrai, je partagerai le butin, mon âme s'en gorgera, je dégainerai mon épée, ma main les supprimera.
Ce verset reflète le contexte de la guerre sainte au temps où les tribus se réunissaient pour combattre l'ennemi.

(15,11)  Qui est comme toi parmi les dieux, Yahvé ? Qui est comme toi, illustre en sainteté, redoutable en exploits, artisan de merveilles ? 
Ce verset est une profession de foi typiquement monolâtre de l'époque de Josias : l'unité du temple avec toutes les tribus  rassemblées, exige que YHWH de Jérusalem soit le seul Dieu adoré par Israël. Aucun autre culte ne doit être toléré ; les sanctuaires autres que celui de Jérusalem sont détruits. 

(15,12)  Tu étendis ta droite, la terre les engloutit. 
C'est la terre qui les engloutit et non la mer.

(15,13)  Ta grâce a conduit ce peuple que tu as racheté, ta force l'a guidé vers ta sainte demeure. Les tribus vont progressivement se rassembler autour de Jérusalem, mais ce n'est pas encore fait.

(15,14)  Les peuples ont entendu, ils frémissent, des douleurs poignent les habitants de Philistie.
Les philistins restent encore les ennemis à combattre, comme au temps des mémoires de David.

(15,15) Alors sont bouleversés les chefs d'Edom, les princes de Moab, la terreur s'en empare, ils titubent, tous ceux qui habitent Canaan.
Au 9°siècle av JC, Edom et Moab font la guerre à la fois à Israël et à Juda, alliés pour la circonstance sous les deux Yoram du Nord et du Sud. C'est encore le temps de la lutte contre le Baal.

(15,17) Tu les amèneras et tu les planteras sur la montagne de ton héritage, lieu dont tu fis, Yahvé, ta résidence, sanctuaire, Seigneur, qu'ont préparé tes mains.
Le cantique évoque l'installation définitive à Jérusalem ; au temps de Josias, on fait mémoire des racines de la dynastie au temps de David, en héritage de l'Exode et de son ancêtre emblématique Moïse qui chante déjà son cantique de victoire.

(15,18) Yahvé régnera pour toujours et à jamais."
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(+1)
Le récit où la mer est divisée à la manière dont Marduk divisait Tiamat (Is 51,9) est plus tardif, après l'exil ; il est marqué par un mythe babylonien. 
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(ECRITURE 1)
Au retour d'Exil à Babylone, le peuple est devenu monothéiste, l'histoire passée avec la victoire de l'Exode et le chant de Moïse, est relue dans cette optique de la foi au Dieu unique sauveur et créateur.

Le chant à l'époque du second temple après la découverte du monothéisme

(15,4)  Les chars de Pharaon et son armée, il les a jetés à la mer.
Le marais asséché par les vents d'est est devenu la mer divisée à la manière dont le Marduk de Babylone divisait Tiamat pour que naisse le monde (Is 51,9).

(15,5)  Les abîmes les recouvrent, ils ont coulé au fond du gouffre comme une pierre.
(15,8)  Au souffle de tes narines, les eaux s'amoncelèrent, les flots se dressèrent comme une digue, les abîmes se figèrent au cœur de la mer.
(15,10)  Tu soufflas de ton haleine, la mer les recouvrit, ils s'enfoncèrent comme du plomb dans les eaux formidables.
(15,16)  Sur eux s'abattent terreur et crainte, la puissance de ton bras les laisse pétrifiés, tant que passe ton peuple, Yahvé, tant que passe ce peuple que tu t'es acheté.
(15,19)  Car lorsque la cavalerie de Pharaon avec ses chars et ses cavaliers était entrée dans la mer, Yahvé avait fait refluer sur eux les eaux de la mer, alors que les Israélites avaient marché à pied sec au milieu de la mer.
(ECRITURE 2)


Le cadre de la relecture attribue l'ensemble du poème à Myriam, sœur du prêtre Aaron. Manière pour l'auteur sacerdotal de s'approprier le cantique.

(15,20)  Myriam, la prophétesse, sœur d'Aaron, prit en main un tambourin et toutes les femmes la suivirent avec des tambourins, formant des chœurs de danses.
Tout cela reflète la liturgie du second temple où la Torah de Moïse est dans la main des prêtres seuls (+1). Ce sont eux qui désormais dirigent le chant et la liturgie du Temple.

(15,21)  Et Myriam leur entonna : "Chantez pour Yahvé, car il s'est couvert de gloire, il a jeté à la mer cheval et cavalier."
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(+1)
Peu de temps après le retour d'exil, sous la domination des Perses, le roi Zorobabel a été éliminé. Ce sont les prêtres qui ont en main les pouvoirs politiques et religieux.

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Cet hymne a un fond très ancien, remontant aux débuts de la foi d'Israël, lorsque le peuple devait lutter pour s'installer en Canaan et en même temps qu'il résistait à s'assimiler complètement.
Il porte même la mémoire du dieu du père, c'est-à-dire du dieu des semi-nomades.
Mais bien sûr l'hymne a été relue et même sans doute rédigée au temps de Josias, puis au retour d'exil.
Il porte ainsi la foi de plusieurs générations et en même temps il porte la trace de seuils de foi.

En bref, le cantique de Moïse

La première expression de foi du peuple de la Bible est celle des tribus en assimilation/rejet :
YHWH est un guerrier qui donne la victoire aux marginaux et révoltés qui se liguent contre l'oppresseur cananéen. Il est aussi le dieu des armées du ciel, celui qui a accompagné, guidé les tribus semi-nomades dans le désert. 

Au temps de Josias, après avoir passé les ravins de la mort (invasion assyrienne), il est vital de se souvenir de ce temps où le peuple était uni autour de YHWH sauveur, lui qui a suscité des chefs - tel Moïse -, qui a délivré son peuple de tous les oppresseurs, qui lui a donné une terre... C'est lui-seul qu'il faut adorer et autour de lui seul qu'il faut faire l'unité.

Au retour d'Exil, lorsque le peuple devient monothéiste avec les prêtres, la relecture de l'histoire, de la création du monde en passant par l'exode devient confession de foi au Dieu unique, sauveur d'Israël, et Créateur du monde par la séparation des eaux. (+1)
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(+1) Voir (Gn 1) : la séparation des eaux d'en bas et des eaux d'en haut.
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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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Le blasphème de JésusLe blasphème de Jésus
Les fondements bibliquesLes fondements bibliques
Entrer dans la foi avec la BibleEntrer dans la foi avec la Bible
Autre publication du père Jacques Bernard
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