Verset(s) de la Bible Mc 12,35-37

Curieux ce texte !

Jésus prend appui sur un psaume (Ps 109) dont l'auteur est, selon la tradition juive, David, pour affirmer que le messie ne peut être le fils de David. Cela va à l'encontre de la tradition juive pour laquelle il est admis que le messie sera un descendant de David (cf. 2 S 7). Cela va aussi à l'encontre de maints textes du Nouveau Testament affirmant que Jésus est le "messie" et "fils de David" ! cf. (Lc 1-2 ; Ac 2-3...). Alors ?
- l'affirmation que le messie ne peut être le fils de David vient-elle de Jésus lui-même ou bien de l'évangéliste ? Dans quel contexte a-t-elle pu être dite ?

- Jésus a-t-il pu être perçu comme messie davidique avant Pâque ? Après Pâques ? Si oui, en quoi correspond-il à cette figure essentiellement politique ?  

- Pourquoi Marc, Matthieu et Luc rapportent-ils cet épisode ? A qui s'adressent-ils ? Quel en est l'enjeu de foi ?

Sans doute, nous faut-il d'abord comprendre ce que recouvre les termes "messie" et "fils de David"...

Voir les commentaires dans le tableau ci-dessous.

Jésus messie politique ?

(12,35)  Prenant la parole, Jésus disait en enseignant dans le Temple : "Comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est fils de David ?
  
(12,36)  C'est David lui-même qui a dit par l'Esprit Saint : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds.

(12,37)  David en personne l'appelle Seigneur ; comment alors peut-il être son fils ?" Et la foule nombreuse l'écoutait avec plaisir.

Bible de Jérusalem (Ed. 1975)
Voir aussi (Les fondements Bibliques, pages 384)

Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias MEMOIRE 1  
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple MEMOIRE 2  
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque MEMOIRE 3  
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome ECRITURE 1  
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 2) 
Au temps de la prédication de Jésus.
 On pourra regarder le plan de la semaine pascale dans les synoptiques en comparaison avec le plan johannique.
 

Jésus David de son vivant

(12,35)  Prenant la parole, Jésus disait en enseignant dans le Temple : 
Dans l'Évangile de Mc la Semaine sainte commence par l'entrée à Jérusalem où Jésus est acclamé comme "Fils de David" (Mc 11), puis, le lendemain, l'épisode des "vendeurs chassés du Temple" présentait aussi Jésus comme celui qui accomplit la fête de Sukkot eschatologique annoncée comme la fête finale qui verrait la disparition des marchands dans le Temple (Za 14,21). Les deux événements laissaient entendre que Jésus était bien le Messie attendu. Ensuite ont lieu plusieurs controverses sur des points essentiels de la foi. Elles devaient répondre aux questions des catéchumènes venant célébrer leur baptême à l'occasion de la Pâque. 
Comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est fils de David
Ils avaient, on le voit, motif à le dire. Même si les épisodes de l'entrée à Jérusalem aux acclamations de Fils de David et celui des vendeurs chassés du temple ont pu être introduits en début de semaine sainte à des fins liturgiques, il ne manquait pas de raisons pour amener les scribes à penser Jésus comme Messie davidique politique. (+1) Le fait que les prêtres fassent front sur ces rumeurs pour arracher à Pilate une crucifixion pour motif politique comme en témoigne l'écriteau de la croix, en est un indice. L'écriteau est clair : "Jésus le Nazôréen, roi des juifs" (Jn 19,19). Et Pilate avait auparavant interrogé Jésus sur sa royauté (Jn 18,35). 

Dans la controverse, Jésus cite le psaume sur lequel il va argumenter : 36 C'est David lui-même qui a dit par l'Esprit Saint : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds.
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(+1)
Jésus né à Bethléem, lieu d'origine de David, sa famille a pu être proche des groupes "nazôréens légitimistes qui attendaient la venue d'un messie davidique. 
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(MEMOIRE 1 )
David dans les mémoires au temps d'Ezéchias et de Josias.
La moitié des psaumes est attribuée à David ("mizmor ledavid", signifie non pas psaume "de" David, mais "attribué" à David). Un premier lieu de cette attribution a été la cour de Josias où le roi avait une situation privilégiée par rapport au temple. L'image d'Ezéchias puis de Josias dans leur rôle d'unificateur des sanctuaires tribaux autour de Jérusalem (2 R 18,3 et 2 R 23) a contribué à connoter l'image de l'ancêtre David dans un rôle cultuel qui lui est attribué dès ses luttes contre Saül où il apparaît comme guerrier musicien.

Un psaume de couronnement davidique

(12,36)
 C'est David lui-même qui a dit par l'Esprit Saint : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds. 
Jésus base son argumentaire sur un psaume de couronnement dans lequel "Le Seigneur" (YHWH) parle à "mon Seigneur" = le roi, lors de son couronnement. Le trône du roi était assis à la droite de l'emplacement réservé à YHWH et sur le socle de son trône étaient inscrites toutes ses victoires. 
Le psaume étant attribué à David, cela peut être un rappel de David guerrier et roi(+1), ou bien, l'expression d'une attente d'un Messie céleste (+2) qui reviendrait réformer le Temple en prenant la tête de l'armée qui l'attend
(+3)
. Jésus serait-il ce messie politique qui prendrait les armes contre les chefs corrompus d'Israël et les Romains ?  En reprenant ce psaume, Jésus semble donner raison à ceux qui attendent de lui une action politique ou militaire.

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(+1)
A l'époque d'Ezéchias (-700) et de Josias (-620) David est l'ancêtre auquel on se réfère. Après l'exil, le psaume viserait Zorobabel, descendant de David et dernier roi puisqu'il sera éliminé par les prêtres (Za 4).
(+2)
Cela renvoie alors à l'époque du second temple, après la disparition du dernier roi : Zorobabel. Ce dernier étant mort, le David politique évincé sera remplacé par un David messianique dont certains, surtout dans les courants apocalyptiques attendent le retour venant du ciel.
(+3)
Cf. le rouleau du Temple à Qumran.
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(MEMOIRE 3)
Au temps de la prédication de Jésus.

La subversion du psaume par l'interprétation de Jésus

(12,37) David en personne l'appelle Seigneur ; comment alors peut-il être son fils ?" Et la foule nombreuse l'écoutait avec plaisir. 
Jésus doit se démarquer de ces attentes messianiques guerrières ou politiques. Dans le contexte de la Semaine sainte, c'est le prétexte que les prêtres trouveront pour livrer Jésus à Pilate. (+1) Jésus désamorce la référence au psaume 110, guerrier et politique, en l'interprétant de manière originale : Le Seigneur (YHWH) a dit à mon Seigneur (le roi attendu du ciel). Jésus ne va pas plus loin et commente seulement le début de la phrase en disant : Si David le psalmiste appelle Seigneur = Messie céleste celui auquel le Seigneur (YHWH) s'adresse, il ne peut pas être son Fils. David, tout roi qu'il était, n'est pas monté au ciel de sorte que le Messie attendu puisse être son fils. Le Messie attendu du ciel ne peut pas être son fils (Ac 2,34). 
Et Jésus, tout en étant roi et fils de David ne sera jamais un messie politique comme dans le Ps 2 (+2). Son royaume n'est pas de ce monde (Jn 18,36). Et la foule est contente, car Jésus annonce autre chose que la guerre.
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(+1)
Son procès devant les prêtres a déjà eu lieu (Jn 11,50) et ils ont décidé qu'il valait mieux "qu'un seul homme meure" pour éviter une répression que n'aurait pas manqué de faire les Romains pour éviter une agitation religieuse messianique au moment de la Pâque. 

(+2)
Psaume d'intronisation du roi : Dieu dit "tu es mon fils...". Le fils désigne le roi et tout Israélite (cf. Martin Hengel "Fils de Dieu".
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Jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis sous tes pieds

Celui qui écrit sait que Jésus s'est démarqué d'un messie politique attendu en ne commentant que ce verset du psaume. La seconde partie du psaume s'applique pourtant à Jésus, mais quand il sera remonté au ciel et qu'il siégera auprès du Père. Alors Dieu aura "mis sous ses pieds tous ses ennemis" ; y compris la mort (cf. Paul 1 Co 15). (+1) Jésus peut être alors à la fois "Seigneur et Messie Céleste", roi d'un Royaume qu'il a ouvert pour tous et qui le relie à nous jusqu'à la fin des temps (Mt 28,20). 
Ce texte a plusieurs finalités ; il rappelle aux catéchumènes et nouveaux baptisés : 
- les motifs politiques utilisés par les prêtres pour que Jésus soit crucifié par les Romains ;
- que Jésus n'a pas été et n'est pas un libérateur politique et guerrier. Il faut donc s'accommoder du pouvoir en place, tout en vivant le Royaume de Jésus jusqu'à donner sa vie ;
- que la messianité de Jésus n'est pas celle affichée par Pilate sur la croix. Elle vient du ciel. La vraie messianité est celle donnée par le Père dans sa résurrection et son ascension : Jésus est son Fils au sens fort du terme. Dès lors, la messianité de Jésus peut être reconnue sans ambiguïté : Jésus est, par sa mort et sa résurrection, victorieux de toutes les puissances et il nous accompagne jusqu'à son retour. 
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(+1) Seulement alors on pourra appliquer à Jésus le Psaume 2 avec "tu es mon Fils" désignant le roi. Luc, après l'ascension pourra reprendre le même Ps 110 et commenter : "David n'est pas monté au ciel" comme l'a fait Jésus qui maintenant, "exalté à la droite de Dieu..., avec tous ses ennemis sous les pieds", peut être le vrai David céleste attendu.
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Dans les années 70, au moment où  l'évangile de Marc est écrit, de graves tensions politiques et religieuses déchirent le peuple juif et impactent les premières communautés chrétiennes composées essentiellement de juifs. 
Dès lors, devenir chrétien suppose d'être au clair avec la messianité de Jésus, sur la foi en la résurrection, sur certains commandements de la Torah...  
Marc réunit ici des enseignements pour ceux qui se préparent à recevoir le baptême (juifs et païens) à travers des "controverses" qui répondent à des questions cruciales : 
- Faut-il payer l'impôt à César ?
- Peut-on vraiment croire à la résurrection des morts ?
- Quel est le "premier" de tous les commandements ?
- Jésus est-il le messie, si oui, en quel sens ?  
Ce que dit ce texte sur la messianité de Jésus remonte au temps de la prédication de Jésus.

En bref, Jésus fils de David ? Messie ?

Dans cette controverse, l'évangéliste relate les distances que Jésus a prises, durant son ministère, vis à vis du messianisme davidique (+1) ; Jésus acceptera ce titre, mais à la fin de son ministère, à l'écart des foules et de la bouche de ses intimes (Mt 16). Il précisera  d'ailleurs à cette occasion que, s'il est "fils de David" et s'il se rend à Jérusalem, c'est dans une toute autre perspective puisqu'il annonce qu'il sera rejeté et souffrira jusqu'à mourir ! (Mt 16). 
Sa résurrection confirme qu'il est bien le Messie, le fils de David, l'Envoyé du Père pour faire un peuple nouveau, fondé sur douze colonnes. Sa Pâque confirme surtout que son Royaume n'est pas selon le monde, mais qu'il doit s'incarner dans le monde (Jn 16 et Jn 18) par l'amour des ennemis et le pardon inconditionnel. Ce royaume est fondé dans le pardon total donné sur la Croix et il est vie dans l'Esprit Saint.
La controverse répond à une question majeure des premières communautés chrétiennes : Jésus a bien été condamné comme "roi des juifs" (motif politique inscrit sur la croix), mais qu'on ne s'y méprenne pas ! Cette astuce que les chefs de Jérusalem ont trouvée pour le faire crucifié par les Romains a une toute autre signification : Oui, Jésus est bien le Messie, mais un messie souffrant qui a donné sa vie pour ses brebis et qui a pardonné à ses bourreaux. Ce  messie règne désormais à la droite du Père et avec le Père, il tient tout dans ses mains... 
Telle est la route à suivre pour ces nouveaux chrétiens : être "dans le monde", mais pas "du monde" (Jn 16) ; renoncer à tout pour suivre Jésus (Mt 16,24) qui s'est fait obéissant jusqu'à la mort et été exalté par le Père (Ph 2). 
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(+1) 
Le messie attendu massivement par le peuple et préparé par certains groupes (zélés,  Sicaires...) était politico-religieux : redonner à Israël sa souveraineté et sa liberté en luttant contre la domination des Romains. Cf. après la multiplication des pains, Jésus fuit la foule qui veut le faire roi (Jn 6). 

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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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